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Lettre ouverte aux publicitaires1

Alors, mesdames et messieurs les publicitaires, vous sentez l'air du temps vous souffler à l'oreille? Vous avez l'impression qu'on vous demande d'être plus pur que pur, plus vert que vert, plus équitable qu'une graine de café cultivée dans une commune autogérée du Chiapas, plus éthique que l'Abbé Pierre, plus humble que Mère Teresa, plus respectueux de l'environnement que Hubert Reeves, David Suzuki et Richard Desjardins réunis?

Si j'étais vous, je ne m'en ferais pas outre mesure.

Parce que, voyez-vous, notre moralisme est d'abord et avant tout esthétique.

Effectivement, depuis quelques années, nous avons l'amour de la planète et de notre prochain tatouée sur la peau, grâce au travail acharné de Bono, Naomi Klein et leurs amis superstars qui ont amassé une petite fortune en vantant les mérites de la simplicité volontaire. Mais comme le chantait Beau Dommage, «c'est le genre de tatouage qui part bien vite au lavage».

Un coup de débarbouillette, et le travail est fait.

Il y a quelques mois, par exemple, j'ai assisté au concert d'un groupe rock alternatif qui consacre une bonne partie de son répertoire à la protection de l'environnement et à la critique des multinationales qui polluent notre belle planète. Or, 80 % des gens présents dans la salle fumaient! D'un côté, on gueule contre les méchantes compagnies qui salopent l'air qu'on respire, et de l'autre, on se fout dans la bouche un produit de consommation destiné à nous faire inhaler 4000 agents chimiques.

Bonjour la cohérence.

Le pire est que personne n'y voit le moindre soupçon de contradiction. Le spectateur moyen peut, du même souffle, se mettre une Gauloise entre les lèvres et cracher son mépris des ignobles pollueurs sans se sentir gêné.

Avant, on demandait aux publicitaires de nous dire que la lessive X lavait plus blanc que la lessive Y. Aujourd'hui, on leur demande de laver notre conscience.
L'important n'est pas de nous vendre un produit 100 % vert. L'important, c'est de nous donner l'impression qu'en achetant votre produit, nous devenons 100 % vert.

Pourquoi passer trois heures par jour à suer dans un gym, s'il suffit de porter un survêtement de sport pour paraître en forme? Idem pour les idées. L'important n'est pas de militer pour l'avenir de la planète. C'est de donner l'impression de militer. Un t-shirt Che Guevara, un pantalon camouflage, et le tour est joué. Vous avez le résultat sans avoir à investir le moindre effort.
Voici ce qu'on vous demande, mesdames et messieurs les publicitaires: inventer des trucs qui nous permettent de consommer sans nous sentir coupables.

Permettez-nous d'avoir le beurre et l'argent du beurre, de crier notre différence et notre singularité tout en achetant les mêmes produits que tout le monde.
Faites en sorte que je puisse flamber mon fric sans me trouver matérialiste et que je puisse polluer tout en me trouvant écolo.

Rendez mon envie de consommer supportable, et donnez de la profondeur à ma superficialité. Inventez un logo sans logo, une marque anti-marque, un savon à 35 $ qui lave à la fois la peau ET la conscience.

Nous en avons ras le bol de nous sentir coupables chaque fois que nous entrons chez Holt Renfrew et que nous sortons notre carte de crédit. S'il vous plaît, libérez-nous de ce poids, redonnez-nous notre virginité perdue, permettez-nous de retrouver (enfin) le sourire, de magasiner l'esprit en paix, le pas agile et le cour léger, comme autrefois.

Bref, aidez-nous à vous aider.

Inventez des produits qui sont à la fois le péché et le pardon, la faute et l'absolution. La maladie et le vaccin.

Refaites de nous des consommateurs heureux.

(Texte originalement publié dans le magazine InfoPresse)