BloguesRichard Martineau

Surréaliste

Le mardi 2 mai dernier, j’ai vécu deux grands moments surréalistes.

Le philosophe français Bernard-Henri Lévy prononçait une conférence au Monument-National à l’invitation du chapitre québécois de l’organisme humanitaire Reporters sans frontière.

Pendant UNE HEURE ET DEMI (zzzzzz), l’homme a «résumé» les thèses de Qui a tué Daniel Pearl, un «romanquête» (l’expression est de BHL lui-même) sur l’assassinat du journaliste du Wall Street Journal, essai-fiction qui a été dénoncé, décrié et démoli par la veuve de Pearl elle-même.

Enfin.

Savez-vous qui a parlé avant BHL? Notre gouverneure-générale Michaëlle Jean. Pendant 20 minutes, l’ex-journaliste de Radio-Canada a dénoncé les injustices sociales et salué le courage des déshérités du monde.

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi, recevoir des leçons de justice et de solidarité par la représentante officielle d’une des familles les plus riches, les plus puissantes et les plus parasitaires de la planète, ça me scie en deux. Aux dernières nouvelles, la fortune personnelle de la Reine d’Angleterre était évaluée à 500 millions de dollars. Tout ça pour quoi? Pour faire des bye-bye du haut de son balcon doré.

Bonjour la solidarité. Bonjour la justice. Et salut les pauvres.

Ça, c’était le moment surréaliste numéro Un.

Le moment surréaliste numéro Deux, c’est quand BHL, à la fin de sa conférence, est venu baver devant Michaëlle Jean, saluant son courage, son humanisme et son grand cour.

Quinze minutes avant, le philosophe qui porte des chemises à 350 euros/pièce vantait les louanges de la démocratie, ce grand système, cette valeur fondamentale, tous les citoyens égaux devant la loi, blablabla, et là, il roucoulait devant une représentante de la ROYAUTÉ britannique, système anti-démocratique par excellence, qui affirme qu’un individu est apte à régner parce qu’il a le bon SANG, qu’il vient de la BONNE LIGNÉE et qu’il a DIEU de son bord!!!

Un peu de cohérence, merde!

Mais tout le monde applaudissait, tout le monde n’y voyait que du feu.

Il n’y a que moi qui ai émis un bémol. Je me suis levé et j’ai demandé à madame Jean, qui venait de dénoncer les injustices et les violences qui embrasent le monde, ce qu’elle pensait du silence de la Reine devant les drames du Darfour, du Rwanda, etc.

Ça se pose, comme question, non?

Eh bien, non. Plusieurs personnes m’ont hué dans la salle. Paraît qu’on ne pose pas ce genre de questions à la Gouverneure-générale. C’est comme cracher dans la soupe ou baisser son pantalon, c’est contre les règles de l’étiquette. « Vous êtes affreusement impoli », m’a dit une dame à la sortie.

Quand, à la toute fin, l’animatrice de la soirée, Céline Galipeau, a demandé aux gens de se lever pour saluer la représentante de la Reine, tout le monde a servilement obéi, bèèèèè, comme des moutons.

Le pire est que la plupart des gens présents dans la salle étaient des journalistes. Ceux-là même qui, chaque année, se réunissent en congrès au Château Frontenac pour se flageller et avouer à quel point ils font mal leur travail.

Ces Grands Défenseurs de la liberté de presse se demandent pourquoi les citoyens leur font de moins en moins confiance. Vous savez pourquoi? Parce que Monsieur et Madame Tout-le-monde vous trouvent complaisants, à genoux devant le pouvoir, copain-copain avec les gens qui nous dirigent, plus enclins à respecter les règles de l’étiquette que les grands principes que vous êtes censés défendre.

C’est ça la liberté de presse? Une presse servile, étouffée par sa politesse? Pas fort.