BloguesRichard Martineau

All You Need Is Cash

En 2002, lors d'une entrevue qu'il a accordée à un journaliste britannique, Sir Paul McCartney (un musicien qui a déjà joué de la basse dans un petit groupe obscur de Liverpool) a sévèrement critiqué les artistes qui vendent leur art à des marchands de bébelles. «Mon rôle n'est pas de chanter des jingles, a-t-il dit. Je ne suis pas un vendeur de souliers ou de bas nylon.»

Or, qui on a pu voir, il n'y a pas si longtemps, dans une pub?
Sir Paul lui-même.

Et il ne vendait ni des chaussures ni des bas, mais les services d'une firme d'investissements, le symbole suprême du capitalisme!

Vous direz que McCartney n'est plus un symbole de la contre-culture depuis longtemps, qu'il est maintenant Chevalier de la Reine et que sa fortune personnelle (évaluée à 1,5 milliard de dollars) équivaut aux PIB de plusieurs petits pays d'Afrique combinés; vous avez raison.
Reste que cette pub m'a fait tout un choc.

C'est comme si j'apprenais que ma mère dansait dans un club topless de Val-Alain pour arrondir ses fins de mois.

Remarquez, l'homme fort des Beatles n'est pas seul dans son club. Toutes les icônes du rock – ou presque – passent maintenant au cash. Les Who ont vendu la plupart de leurs chansons à des fabricants d'autos, les Stones ont prêté leur nom et leur visage à une firme spécialisée dans les prêts hypothécaires (Ameriquest), Sting a vanté les mérites de Jaguar, James Taylor a passé le chapeau pour MCI, même Bob Dylan est apparu brièvement dans une pub de sous-vêtements féminins (Victoria's Secret)!

Preuve qu'il n'y a rien de trop beau pour la classe ouvrière: il y a quelques années, les détenteurs de cartes de crédit American Express pouvaient acheter des billets à l'avance pour le dernier concert de. Bruce Springsteen, le grand champion des cols bleus!

Que Dan Bigras ait prêté sa voix à Canadian Tire, je comprends. Il ne roule pas sur l'or, Bigras, et il travaille fort pour venir en aide aux jeunes sans abri. Mais Springsteen? McCartney? Céline Dion? Qu'est-ce qui se passe, ils ont besoin d'un troisième jet, ils veulent acheter un château à leur chat?

Qui sait, je suis peut-être vieux jeu, je regarde peut-être le monde avec des lunettes achetées en 1976.

La morale, aujourd'hui, n'est plus ce qu'elle était. L'infotainment ne choque plus personne, le mélange des genres est affaire courante, et tout le monde assume fièrement ses contradictions. C'est ainsi que la pub d'Elvis Gratton III, une charge féroce contre les ravages de la convergence réalisée par le très puriste Pierre Falardeau, a été diffusée pour la première fois pendant la finale de Star Académie, une émission de variétés qui est à la convergence ce que la vanille est à la glace à la vanille!

Aujourd'hui, plus personne n'est dupe. Tout le monde sait que la culture est une industrie et que dans le mot Showbusiness, le mot le plus important est: «Business».

Les journaux impriment des textes pour vendre de la pub, les salles de cinéma projettent des films pour vendre du pop-corn, les stations de télé diffusent des émissions pour placer des produits, même les éditeurs publient des livres pour recevoir des subventions!

Si tout le monde se graisse la patte, pourquoi les artistes demeureraient-ils en reste?

Il est fini, le temps où la pauvreté était considérée comme une vertu et un gage d'intégrité. De nos jours, plus personne ne ressent la moindre fierté à tirer le diable par la queue. Les bons vieux principes du catholicisme («Les premiers seront les derniers», « Heureux les pauvres», «Par ici les miséreux»), qui ont tant fait triper les hippies des années 60, ont été remplacés par l'éthique protestante.

Comme l'écrivait Max Weber dans L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, un essai lumineux publié en 1905, la richesse, pour les protestants, n'est pas une tare, mais un signe d'élection divine. Dieu veut que nous réussissions! Si vous êtes riche, c'est que Dieu vous aime.

Il y a quelques années, Bob Dylan vendu les droits de The Times They Are A Changing à la Banque de Montréal.

Le poète préféré des gauchistes ne pouvait pas si bien dire. Les temps changent, effectivement.