En 2002, lors d'une entrevue qu'il a accordée à un journaliste britannique, Sir Paul McCartney (un musicien qui a déjà joué de la basse dans un petit groupe obscur de Liverpool) a sévèrement critiqué les artistes qui vendent leur art à des marchands de bébelles. «Mon rôle n'est pas de chanter des jingles, a-t-il dit. Je ne suis pas un vendeur de souliers ou de bas nylon.»
Or, qui on a pu voir, il n'y a pas si longtemps, dans une pub?
Sir Paul lui-même.
Et il ne vendait ni des chaussures ni des bas, mais les services d'une firme d'investissements, le symbole suprême du capitalisme!
Vous direz que McCartney n'est plus un symbole de la contre-culture depuis longtemps, qu'il est maintenant Chevalier de la Reine et que sa fortune personnelle (évaluée à 1,5 milliard de dollars) équivaut aux PIB de plusieurs petits pays d'Afrique combinés; vous avez raison.
Reste que cette pub m'a fait tout un choc.
C'est comme si j'apprenais que ma mère dansait dans un club topless de Val-Alain pour arrondir ses fins de mois.
Remarquez, l'homme fort des Beatles n'est pas seul dans son club. Toutes les icônes du rock – ou presque – passent maintenant au cash. Les Who ont vendu la plupart de leurs chansons à des fabricants d'autos, les Stones ont prêté leur nom et leur visage à une firme spécialisée dans les prêts hypothécaires (Ameriquest), Sting a vanté les mérites de Jaguar, James Taylor a passé le chapeau pour MCI, même Bob Dylan est apparu brièvement dans une pub de sous-vêtements féminins (Victoria's Secret)!
Preuve qu'il n'y a rien de trop beau pour la classe ouvrière: il y a quelques années, les détenteurs de cartes de crédit American Express pouvaient acheter des billets à l'avance pour le dernier concert de. Bruce Springsteen, le grand champion des cols bleus!
Que Dan Bigras ait prêté sa voix à Canadian Tire, je comprends. Il ne roule pas sur l'or, Bigras, et il travaille fort pour venir en aide aux jeunes sans abri. Mais Springsteen? McCartney? Céline Dion? Qu'est-ce qui se passe, ils ont besoin d'un troisième jet, ils veulent acheter un château à leur chat?
Qui sait, je suis peut-être vieux jeu, je regarde peut-être le monde avec des lunettes achetées en 1976.
La morale, aujourd'hui, n'est plus ce qu'elle était. L'infotainment ne choque plus personne, le mélange des genres est affaire courante, et tout le monde assume fièrement ses contradictions. C'est ainsi que la pub d'Elvis Gratton III, une charge féroce contre les ravages de la convergence réalisée par le très puriste Pierre Falardeau, a été diffusée pour la première fois pendant la finale de Star Académie, une émission de variétés qui est à la convergence ce que la vanille est à la glace à la vanille!
Aujourd'hui, plus personne n'est dupe. Tout le monde sait que la culture est une industrie et que dans le mot Showbusiness, le mot le plus important est: «Business».
Les journaux impriment des textes pour vendre de la pub, les salles de cinéma projettent des films pour vendre du pop-corn, les stations de télé diffusent des émissions pour placer des produits, même les éditeurs publient des livres pour recevoir des subventions!
Si tout le monde se graisse la patte, pourquoi les artistes demeureraient-ils en reste?
Il est fini, le temps où la pauvreté était considérée comme une vertu et un gage d'intégrité. De nos jours, plus personne ne ressent la moindre fierté à tirer le diable par la queue. Les bons vieux principes du catholicisme («Les premiers seront les derniers», « Heureux les pauvres», «Par ici les miséreux»), qui ont tant fait triper les hippies des années 60, ont été remplacés par l'éthique protestante.
Comme l'écrivait Max Weber dans L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, un essai lumineux publié en 1905, la richesse, pour les protestants, n'est pas une tare, mais un signe d'élection divine. Dieu veut que nous réussissions! Si vous êtes riche, c'est que Dieu vous aime.
Il y a quelques années, Bob Dylan vendu les droits de The Times They Are A Changing à la Banque de Montréal.
Le poète préféré des gauchistes ne pouvait pas si bien dire. Les temps changent, effectivement.
Il n’y a pas si longtemps, Robert Plant de Led Zep et Geddy Lee de Rush ont été ouvertement critiqués car ont pouvait entendre les pieces « Rock n Roll » et « Tom Sawyer » sur des pubs de voiture. Leurs réponses fut quand même surprenante et portaient à réflection. Les deux chanteurs disaient que les pubs avaient été faites avec goût et que maintenant, les radios commerciales ne jouent pratiquement plus de musique rock (a part peut etre les stations « classic rock ») et que le seul moyen de se faire entendre etait de, bien souvent, utiliser ce genre de musique pour des pubs. On a que regarder ce qui s’est passé chez nous avec les pubs sur le lait. Le catalogue de certains artistes s’est remis a se vendre suite aux pubs du lait. Est-ce qu’on peut leur en vouloir?
Par contre des gros calibres comme McCartney, Dylan et Springsteen… on peut se poser des questions…
« L’argent ne fait pas le bonheur », ce n’est sûrement un pauvre qui a écrit ça.
L’ascétisme dont le Catholicisme faisait la promotion n’avait que pour but d’asservir le peuple. Restez pauvre et attendez votre rédemption, pendant que les élites s’en mettent plein les poches. Un peuple riche et en pleine possession de ses moyens sera en mesure de compétitionner avec l’élite traditionelle.
Le protestantisme n’a rien à voir avec ça. Les gens prennent simplement le controle de leur existance.
Bonjour
Les grands stars n’ont pas besoin d’argent, elles sont déjà
trop riches. Elles veulent se faire voir.
À quoi ça sert de mourir si riches ? Et surtout pourquoi vouloir tant prouver leurs réussites ?
Parce qu’elles se meurent d’ennui sans leur public adoré.
Plus t’es BIG, plus tu » Thing BIG S’TI « .
Ça m’en a tout l’air.
Bonjour Richard,
Vous vous questionnez sur les artistes qui associent leurs oeuvres à des entreprises commerciales. Je peux témoigner sur ce sujet en tant que membre d’un groupe (Beau Dommage) auquel on a souvent offert des sommes troublantes en échange de l’utilisation de nos chansons dans des réclames publicitaires. Je vais vous dire le seul cas où nous avons accepté et ça va illustrer mon point de vue: nous avons permis d’associer la chanson « Le picbois » à une campagne de promotion des parcs nationaux du Québec. Le petit film de 30 secondes était un prolongement naturel et assumé (pour nous) du message véhiculé par la chanson: » va visiter la nature, ça te fera du bien! ».
Cependant nous avons refusé les autres propositions. Pourquoi? Quand une chanson devient populaire, ça signifie que beaucoup de gens l’ont intégrée dans leur quotidien, dans leur mémoire. La chanson devient pour chacun d’entre eux porteuse d’une imagerie. Un petit vidéoclip intime et personnel. Et allons jusqu’à tenir un discours marchand : c’est ce qu’ils ont acheté en achetant nos albums. Pour nous, Beau Dommage, les chansons leur appartiennent un peu maintenant (on se calme, on garde toujours nos royautés et droits d’auteurs!), Ce serait rompre ce contrat tacite que de leur imposer une juxtaposition avec un produit commercial. Autour de la thématique de « Harmonie du soir à Châteauguay », par exemple, on ne vous imposera pas la marque de bière qui se boit autour du feu de camp, ni le SUV pour se rendre au beach party.
Ce n’est pas l’abnégation de l’artiste qui veut demeurer pauvre. Je suis ravi que mes oeuvres trouvent preneur et j’espère assurer mes vieux jours avec le succès de ces chansons. Mais il y a entre le public et le créateur un lien éthique, affectif et poétique (donc non-commercial) qui fait le charme de ce métier. J’y tiens…et ça fait partie importante du plaisir que je prends à écrire des chansons.