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Censurer ou ne pas censurer?

Aujourd'hui, le député bloquiste Bernard Bigras a déposé un projet de loi visant à encadrer la télédiffusion d'images violentes. Si ce texte est adopté, les stations de télé ne pourront plus diffuser des scènes violentes avant 21 hres.

«Il ne s'agit pas de brimer la liberté d'expression, de dire monsieur Bigras, mais de protéger les enfants. »

Cette initiative n'est pas nouvelle. Régulièrement, on blâme la télé pour la violence qui se déroule dans la vraie vie. Un petit garçon de 11 ans se pend? C'est parce qu'il a vu un film violent. Un homme commet des viols? C'est parce qu'il a vu trop de films érotiques ou pornographiques.

Est-ce une solution de facilité? Les images que nous voyons sont-elles vraiment responsables des crimes qui sont commis dans nos rues? Suffirait-il de diffuser des films de Walt Disney 24 heures sur 24, sept jours par semaine pour rendre le monde paisible et arrêter les guerres?

Ça me fait penser à une chronique que j'ai publiée en juillet 1993, il y a 13 ans.

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Cette semaine, un article du Time m'a fait dresser les cheveux sur la tête.

Voilà quelques jours, le Congrès américain a organisé des audiences publiques sur les effets "néfastes" de la violence à la télévision. Suite à ces audiences, les patrons de quatre grands réseaux de télé (ABC, CBS, NBC et Fox) ont décidé de s'autoréglementer, afin de calmer les politiciens et les groupes de pression.

Résultat: à partir de septembre, les émissions violentes qui seront diffusées sur ces quatre réseaux seront identifiées par un V et précédées d'une mise en garde destinée aux parents, genre: "L'émission que vous allez voir contient des scènes de violence."

Parfait?

Non: horrifiant.

En effet, cette décision a déjà des effets négatifs sur la programmation des différents réseaux. Plusieurs commanditaires ont annoncé qu'ils n'achèteront plus de temps d'antenne pendant les émissions classées V, pour ne pas donner l'impression qu'ils encouragent la violence.

Ainsi, l'excellent film de Martin Scorsese, GoodFellas, devait être diffusé cet automne sur les ondes d'ABC, précédé d'un avertissement spécial enregistré par le réalisateur lui-même. Or, le réseau ABC a décidé de retirer ce film de l'horaire, pour ne pas mériter un V. Un paquet d'émissions seront "remontées" et "expurgées" afin de ne pas exciter les commanditaires.

Au début de la saison dernière, l'émission dramatique Law & Order (sorte de version "nineties" de L. A. Law) consacrait une heure aux groupes terroristes Pro-vie qui bombardent les cliniques d'avortements. Sujet important s'il en est un. Or, selon le producteur de la série, l'arrivée, cet automne, de l'étiquette V risque d'empêcher la diffusion d'une émission comme celle-là.

Comme elle risque de menacer la production de séries comme Twin Peaks ou Palm Beach.

Bof, pourquoi s'énerver, hein? Après tout, c'est un phénomène américain. Et puis nous ne sommes pas aussi puritains que nos voisins du sud…

Détrompez-vous. Le réseau Super Écran a commencé à identifier les longs métrages violents diffusés sur ses ondes par un petit carré rouge.

Nous sommes chanceux: Super Écran est un canal de télé payante qui n'a pas besoin du O. K. des annonceurs pour diffuser ses films. Mais si on ne fait pas attention, le petit carré rouge se retrouvera bientôt à Radio-Canada ou à Télé-Métropole.

Nous pourrons alors dire bye-bye à Scorsese, Kubrick, Being at Home with Claude et tous les autres films ou émissions jugés (par qui? et selon quels critères?) trop violents.

Les parents bien pensants qui s'énervent contre la télé et qui se donnent bonne conscience en signant la pétition de Virginie Larivière ne savent pas le tort qu'ils peuvent causer à l'industrie de la télévision et au paysage culturel québécois.

Car ne nous leurrons pas: lorsqu'ils vont commencer à mettre des films à l'index, les censeurs, commanditaires et autres bonzes du CRTC ne se sépareront pas les cheveux en quatre. Ils ne se diront pas: cette scène violente est correcte, mais celle-là est inacceptable. Ils vont couper, point.

Ils ne feront pas la différence entre Massacre à la tronçonneuse et Le Parrain 2. Ils vont calculer le degré de violence au volume d'hémoglobine versée.

Et on se retrouvera avec une télévision rose bonbon, innocente et complètement aseptisée.

Ce qui m'emmedre avec ce maudit mouvement pro-censure, c'est qu'il se donne des airs progressifs. Il se cache sous un vernis humaniste, écologique et pacifiste. Or, il n'y a pas trois sortes de censure, il y en a une, et elle penche dangereusement vers la droite.

Avant, la censure était l'apanage des fondamentalistes catholiques et autres grenouilles de bénitiers. Maintenant, elle est la cause fétiche des parents bleu pastel qui écoutent Phil Collins entre deux émissions de Claire Pimparé, et qui ne font l'amour que dans des draps propres.

Ils voudraient que leurs enfants regardent des émissions éducatives, qu'ils jouent avec des jouets éducatifs, qu'ils portent des protège-genoux lorsqu'ils s'amusent dans le jardin, qu'ils trippent sur Henri Dé…

Ils rêvent d'un monde beau, propre et gentil, et appellent la police dès qu'ils tombent sur une photo d'enfants tout nus.

Ils lisent Le Petit Chaperon rouge à leur progéniture mais passent par-dessus les bouts trop heavy. Et si jamais leur petit bambin chéri fait un cauchemar, ils sautent sur le téléphone et appellent le psychologue…

Leur bonté est tellement mielleuse qu'elle vous donne envie de mettre le feu à un tas de poupées Bouts d'choux.

On aurait envie de les asseoir sur un gros sofa, de leur lire du Sade à haute voix et d'épingler une affiche de Clockwork Orange au-dessus de leur lit.

C'est bien beau, signer des pétitions à gauche et à droite. Mais il faudrait d'abord s'informer sur les conséquences que peuvent avoir les mesures qu'elles préconisent.

Les parents bien pensants ne veulent pas que leurs enfants écoutent GoodFellas? Eh bien, qu'ils fassent preuve d'autorité (oh le vilain mot!) et qu'ils les empêchent de regarder la télé.

C'est ce que je fais quand je vois des parents "responsables" parler de censure au petit écran.

Je change de poste.