BloguesRichard Martineau

Les chasseurs et les fermiers

J'ai envie de vous faire part de ma théorie sur le couple, une théorie un peu farfelue que j'ai élaborée un soir où je n'avais rien à faire.

Le couple est une forme d'agriculture émotive et sexuelle.

Au début des temps, l'homme était un chasseur. La survie de sa personne dépendait exclusivement de ses talents de chasseur. Pas de chasse, pas de viande. Si l'homme voulait survivre, il devait chasser, il n'avait pas le choix.

Le hic, c'est que les résultats de la chasse ne sont pas 100 % garantis. Parfois vous attrapez votre proie, parfois non. Les chances que vous reveniez avec de la viande à la tombée du jour étaient de 50-50. Et puis c'est fatigant, la chasse. Pas moyen de se reposer. Le soleil vient-il à peine de poindre que hop! vous devez sortir de votre caverne et suivre le troupeau avec votre lance et votre filet.

Jour après jour après jour.

Voilà pourquoi l'homme a inventé l'agriculture.

Avec l'agriculture, plus besoin de suivre le troupeau. Il est à votre porte, le troupeau, et il broute tranquillement votre herbe. Vous avez soif? Vous n'avez qu'à traire une vache. Vous avez faim? Vous n'avez qu'à décapiter un poulet ou à saigner un boeuf.

Avec l'agriculture, plus besoin d'être fort, de courir vite ou d'être habile avec une lance pour manger. C'est à la portée du premier venu. C'est une activité stable, qui offre des résultats probants.

Eh bien, c'est la même chose avec l'amour et le sexe.

Avant, pour s'accoupler, l'homme devait chasser, faire la cour, montrer ses plumes, faire le beau. C'était une activité stimulante, mais éreintante. Il faut toujours être tiré à quatre épingles, allumé, spirituel.

Mais grâce au couple, plus besoin de chasser. L'amour est là, à portée de main. Vous êtes sûr, en revenant le soir, d'avoir votre portion quotidienne d'affection. Vous pouvez dormir sur vos deux oreilles, vous ne reviendrez jamais bredouille. Bobonne est là.

Je dis l'homme, mais je veux dire l'homme avec un grand H. Car c'est la même chose avec la femme. Elle n'a plus besoin de chasser, la femme, quand elle est en couple, elle n'a plus besoin de courir les bars ou les lancements pour attraper sa proie, elle a son gros nounours à la maison qui l'attend devant sa télé 38 pouces et sa caisse de douze.

Bref, les gens en couple sont des agriculteurs sédentaires, et les célibataires sont des chasseurs nomades.

Le plus drôle, dans tout ça, est que les deux groupes sont jaloux l'un de l'autre.
Les chasseurs envient la vie tranquille des agriculteurs, qui n'ont pas à se casser la tête pour assouvir leurs besoins. Et les agriculteurs envient la vie trépidante des chasseurs, car ils sont toujours sur la Go et qu'ils voient du paysage.

Certains ont tenté d'inventer une troisième voie: le couple open, l'échangisme, le «polyamour». Ce sont des chasseurs de fin de semaine, ils ne chassent pas pour survivre (pas besoin, ils ont un troupeau dans leur cour), mais pour le sport, pour garder la forme, pour changer le mal de place. Quand ils s'ennuient sur leur ferme, ils mettent leur chemise à carreau, empoignent leur fusil et vont tirer quelques coups dans le bois. Puis une fois la journée terminée, ils reviennent tranquillement sur leur terre exposer leur nouveau panache.

Qui sait? Dans quelques siècles, l'homme inventera peut-être un nouveau concept, qui ne sera ni la chasse, ni l'agriculture. Mais d'ici là, le monde continuera d'être divisé en deux. Les chasseurs d'un bord, les fermiers de l'autre.

Chacun avec leurs rêves, leurs désirs et leurs envies.

(Texte originalement publié dans Elle-Québec)