BloguesRichard Martineau

La mort dans l’âme

Il n'y a pas sujet plus difficile, plus délicat à traiter que le suicide.

Rappelons-nous ce qu'on a pu lire au lendemain du suicide du journaliste Gaétan Girouard, qui s'est enlevé la vie en pleine force de l'âge. On a vanté – à juste titre – sa courtoisie, son talent, sa dévotion. Mais on a aussi dit, parlant de son suicide:

«C'est son choix, il faut le respecter.»

Cette phrase a été prononcée à plusieurs reprises, par des collègues comme par des membres de sa famille. Normal: quand on est confronté à un drame aussi inexplicable, aussi gratuit, aussi dévastateur qu'un suicide (surtout lorsque la victime a trente-trois ans), on tente par tous les moyens d'y insuffler un sens. On se dit que c'était un choix, une décision. Que tout cela avait une finalité, un but.

Mais en répétant cette affirmation, même si c'est pour garder la tête hors de l'eau le temps de faire son deuil, ne risque-t-on pas, à long terme, de faire plus de mal que de bien?

L'Américaine Sue Chance est psychiatre. En 1984, son fils unique s'est enlevé la vie. En 1996, elle a écrit un livre sur les leçons qu'elle a tirées de cette expérience: Stronger Than Death: When Suicide Touches Your Life.

Pour elle, pas de doute: le suicide est tout, sauf un choix à respecter.

«Le suicide, écrit-elle, est une très mauvaise façon de résoudre un problème. Il arrive souvent que les proches d'une personne qui vient de s'enlever la vie prennent sa défense à leurs propres dépens. Ils louangent ses vertus – sa sensibilité, son intelligence, son tempérament artistique, etc. Ils font comme si cette personne était spéciale. Or, je suis désolée de parler aussi crûment, mais nous avons tous des problèmes. Nous traversons tous des crises. Tout le monde reçoit des flèches, dans la vie. Quand ça nous arrive, nous nous arrêtons, nous soignons nos blessures et nous poursuivons notre route. Les personnes qui se suicident refusent de faire ça. Ça ne veut pas dire qu'elles sont spéciales – ça veut dire qu'elles sont malades.»

«Cessons de nous raconter des histoires: les vraies victimes, dans les cas de suicides, sont les survivants, ceux qui se sentent responsables, qui souffrent et qui ont été abandonnés. Ce n'est pas notre famille qui a poussé mon fils au suicide, ni notre façon de vivre ou son environnement: c'est lui. La question à poser, lorsque quelqu'un s'enlève la vie, n'est pas: «Qu'avons-nous fait de mal?», mais bien: «Pourquoi cette personne n'est pas allée chercher de l'aide?» Le suicide, c'est un échec, un signe d'impuissance, une faillite. Une incapacité à grandir et à se développer. Nous ne rendons service à personne lorsque nous refusons de regarder ces vérités en face.»

On retrouve essentiellement le même discours sur le site Internet de Carrefour Intervention Suicide, un organisme basé à Sherbrooke.

«Plusieurs études approfondies et concordantes montrent que près de 90 % des personnes qui mettent un terme à leur vie souffrent d'un trouble psychique au moment de passer à l'acte, écrit James Alexander. S'il faut bien admettre qu'il puisse exister des «suicides-bilans», la grande majorité des actes d'autodestruction ont pour origine un état psychique pathologique qui ne permet pas à la personne de prendre à ce moment-là une décision libre et rationnelle concernant sa vie, ni d'évaluer son avenir avec suffisamment d'objectivité.»

«Souvent, on refuse de parler franchement du suicide parce qu'on ne veut pas donner l'impression d'attaquer la personne qui s'est enlevé la vie, conclut Sue Chance. Or, il faut en parler, c'est important! Les survivants n'ont pas seulement le droit d'exprimer leur peine et leur culpabilité. Ils ont aussi le droit d'exprimer leur colère. Ils ont aussi le droit de dire: «Non, je ne le comprends pas, et je ne l'accepte pas.»»

Les gars qui se barricadent dans leur maison et qui déciment leur famille avant de s'enlever la vie souffrent aussi de dépression grave. Mais est-ce que ça nous viendrait à l'idée de dire: «C'était leur choix, il faut l'accepter?»

Idem, il me semble, pour les suicides «traditionnels». Un père de famille qui se suicide fait du mal à sa femme et à ses enfants. Il peut même les blesser pour la vie.

Des choix à respecter? Je ne le pense pas: plutôt des actes violents à dénoncer, à regretter et à combattre de toutes nos forces.