Je suis allé voir le one-woman show de Fanny Ardant. Toute seule sur scène à réciter un texte de Duras.
Duras, vous savez. Celle qui écrit des petits romans avec des phrases courtes. Un mot. Un point. Deux mots. Trois petits points. Oui, elle. Marguerite Duras. Celle-là même. Vous savez. Vous la connaissez. Vous l'avez probablement lue.
Eh bien, Fanny Ardant récite un de ses textes. Seule. Sur scène. Avec sa voix. Sa voix inimitable. Sa voix inoubliable. Sa voix de Fanny Ardant.
Et zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz….
Si cette pièce était montée dans un petit théâtre avec une comédienne inconnue, personne n'irait. Moi non plus. Mais c'est Fanny. Alors on y va. Et on s'emmerde. Assommé. Croûlant sous l'ennui. Cognant des clous. Luttant contre le sommeil. Mais à la fin, on se lève et on applaudit. Car c'est Fanny. Et qu'elle est venue de loin. Et qu'on l'a vue au cinéma.
Et on dit c'est fantastique. C'est génial. Ah, vous avez vu. Vous avez entendu. Quelle émotion. Quel timbre. Non, mais quelle présence.
Mais dans le fond, qu'est-ce qu'on s'est fait chier…
Beaucoup de petit bijoux montés avec presque rien restent en marge, pour la même raison que cette platitude fut ovationnée: Le facteur de désidérabilité sociale et l’effet Rosenthal (ou pygmalion), soit l’effet de l’étiquetage.
Il existe à la base deux sorte d’amateur de théâtre et d’art : Le passionné, qui prend le théâtre, pour ce qu’il est, en étroit contact avec le texte, le jeu, l’émotion, indépendamment de la popularité et de la notoriété des artistes. N’essayez pas de tromper les amateurs et critiques de cette catégorie, ça marchera pas: La pièce sera analysé, vécue, sentie d’après ce qu’elle est, non d’après le nombre de rappel, la notoriété, le nom de certains acteurs. Inutile de parqueter la salle d’amis en délire, en première, ça marchera pas.
Puis, deuxième catégorie, les poseurs sociaux, ceux qui veulent montrer qu’ils connaissent untel, qui veulent se montrer à tel endroit, qui vont se gargariser d’une pièce fondamentalement minable en autant que cela soit la tendance.
Ils veulent être vu à tel et tel endroit pour alimenter leur image, exiber publiquement leur appartenance à un certain monde, mais il suffit de les faire parler pour se rendre compte, qu’en dehors des clichés, z’ont rien reçu, rien compris d’une oeuvre.
Ainsi, quelques théâtres parmi les plus gros continuent, depuis quelques années, à s’enfoncer dans le cliché, le boulevard, le pompeux, le galvaudé, et monopolisent la majorité des subventions du milieu, tout en continuant d’attirer les béotiens ébahi devant tant de réputations, tant de gros noms d’acteurs, qui sont pourtant plus souvent qu’ autrement obligé de jouer de façon très figées et de déclamer comme des perdus dans ces immenses salles qui ne permettent guère le minimum d’inimitée nécessaire à l’établissement d’un jeu plus raffiné.
Voilà !
« Des odeurs de caramel arrivent dans la chambre, celle des cacahuètes grillées, des soupes chinoises, des viandes rôties, des herbes, du jasmin, de la poussière, de l’encens, du feu de charbon de bois, le feu se transporte ici dans des paniers, il se vend dans les rues, l’odeur de la ville est celle des villages de la brousse, de la forêt. »
Ça, c’est une phrase tirée d’un roman de Duras (probablement le plus connu) où (je vous le donne en mille) il y en a tout plein d’autres, semblablement ponctuées. Son écriture n’a, en fait, strictement rien à voir avec « …des phrases courtes. Un mot. Un point. Deux mots. Trois petits points. ». Derrière ce sarcasme foireux se cache donc bien maladroitement cette évidence que vous ne l’avez jamais lue. Je peux comprendre que vous n’ayez pas trouvé dans l’interprétation de Fanny Ardant les vertus tonifiantes que vous espériez (ah mais, quel fol espoir, tout de même!); c’est des trucs qui arrivent… Seulement, c’est pas la peine de propager votre inculture juste parce que vous avez une petite crainte que, des fois, vous auriez un peu ronflé parce que le propos vous exténuait un tant soit peu le bulbe et les deux hémisphères qui le surplombent. Vous n’y avez pigé que dalle, vous avez un peu bavoché sur votre liquette, oui bon d’accord, c’est pas dramatique! Que d’autres aient pu apprécier ne doit quand même pas vous donner de tels complexes!
Pourquoi êtes-vous resté ? Trop endormi pour réagir j’imagine.
« À force de bénédictions ministérielles (mais sans interrompre son chantage routinier au nom de Webern, Rimbaud, Manet, Varèse, et toute la sacrée cohorte des « incompris » d’hier), l’Avant-gardiste subventionné, l’Homme-au-Nouveau-entre-les-dents, le Transgresseur disciplinaire, n’intimide plus grand monde. Sauf à la villa Médicis et dans quelques universités américaines. Qu’on le veuille ou non, qu’on s’en réjouisse ou pas, c’est le raï et le rap qui innovent, non les « chercheurs » ircamiens. Il y a toujours plus de sensibilité dans trois phrases de Prévert que dans l’oeuvre entière de René Char, cacographe officiel. Marcel Aymé reste lisible, non Claude Simon ou Duras. Et tout le reste à l’avenant. Le « nouveau » lui-même est une vieille habitude qui commence à se perdre. »
« Une lumière d’auréole et de martyre sans risque. L’Avant-gardiste est bien le seul prêtre qui n’aura jamais, dans toute sa vie, été tenté de défroquer. Il a seulement changé d’Église (de L’Humanité à l’humanitaire?). Et poursuivi sans mollir sa « mission spirituelle » d’éclaireur de peuples. L’exposition d’art contemporain où il montre son « travail », la salle de concert où il exhibe sa technologie, le roman-confession de cent cinquante pages où il détaille son agonie sont les temples dans lesquels on se rend, par menus groupes fervents, pour l’écouter prêcher. Personne ne rigole. On est très loin des foules d’autrefois pliées en deux devant l’Olympia de Manet. Quelles foules, d’ailleurs? Où les trouverait-on, depuis que tous les hommes sont artistes, ainsi que l’a décrété Beuys dans une formule qui n’était peut-être, au fond, qu’un syllogisme inachevé et révélateur. Quelque chose du genre: tout homme est artiste; or l’art est mortel; donc la Culture a pris le pouvoir. »
– Philippe Muray
http://duteurtre.free.fr/guppy/articles.php?lng=fr&pg=59
J’ai pas lu Duras. Avant aujourdh’ui je ne connaissais même pas le titre d’un de ses livres. Peut-être est-ce que je manque quelque chose, un ravissement, un bon moment, je ne sais pas… Je n’ai même pas le goût d’aller voir, je n’ai rien relever qui me pousserait à le faire. Les relations hommes-femmes comme sujet de roman, ça m’ennuie… Or d’entendre comme ce matin à la radio des « fans » se pâmer sur Duras me ramène à tout ces artistes qui me tannent mais qu’on encensent à grand coup de « extraordinaire, remarquable et sublime » comme Fanny Ardant, Pierre Lapointe, Boom Desjardins, Ginette Reno, Gregory Charles etc…(la liste est très longue). À chacun ses goûts, d’accord, mais je trouve que l’on érige trop vite en demi-dieux des gens sympathiques, certes, mais loin du génie tant acclamé. Pourtant je suis relativement cultivé, j’aime la beauté, l’originalité, les arts et la philosophie. Chaque journée m’apporte son lot d’ébahissement face aux réactions ampoulées que nous avons pour des artistes somme toute médiocres.