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La réunion de parents

À lire: cette lettre ouverte de l'auteur MAXIME OLIVIER MOUTIER (Les Trois modes de conservation des viandes), qui a été publiée dans La Presse ce week-end. Assez rigolote et très, très juste.

Au rayon des aventures qui composent la vie secrète des gens heureux, vous avez pris l'habitude d'être courageux. Vous êtes un bon papa, et ce n'est pas d'hier qu'il vous faut assister aux inévitables réunions de parents. Deux fois par année, après le souper, vous vous rendez dans le gymnase de la petite école du quartier, rencontrer les professeurs en compagnie des autres parents. C'est le moment de faire comme si vous vous intéressiez aux progrès de votre enfant, qui sait déjà de toutes façons fabriquer des bombes via Internet, et semble vivre depuis longtemps dans un monde où il lui sera inutile de savoir lire, écrire ou compter.

Après une brève visite des corridors et des locaux, le directeur expose les objectifs, la philosophie, les buts, la cible et le plan d'action pour l'année qui s'amorce. Puis, soucieux de soulager les inquiétudes, il réserve un espace à son ordre du jour pour entendre les questions. Tout le monde est là, y compris la secrétaire et le personnel d'entretien. On a même prévu des chaises, du café, des jus, des biscuits, des croissants, et du thé pour ceux qui n'aiment pas le café. Subjugué, vous ne dites rien.

Une mère, émue, réclame de toute urgence un nouvel ordinateur dans la classe. Jusqu'à maintenant, une seule machine est disponible, et les élèves doivent partager et faire en sorte que ce soit chacun son tour. Mais comme sa fille est de tempérament timide (elle est née ainsi), doublée d'une difficulté accrue à prendre sa place, elle n'ose pas trop, reste derrière et regarde les autres s'amuser, écartée de la fête. Au bout du compte, cela crée une situation injuste et anormale.

Ce commentaire fait bondir une autre mère qui s'était endormie. Elle allait oublier de demander que contrairement à l'an passé, l'école devrait cette année opter pour un camp blanc (l'hiver) plutôt qu'un camp vert (au printemps) parce que sa fille est allergique aux piqûres d'insectes et que tant qu'il y aura des camps verts, elle ne pourra être comme les autres, et se sentira donc toujours exclue. À l'autre coin, un père se lève. Il veut dire quelque chose. Tous l'écoutent. Il a envie d'exprimer son ambition de faire pivoter l'école d'une quinzaine de degré vers le sud, parce que son fils, qui a les yeux bleus et donc délicats, reçoit depuis sa place tout le soleil de l'après-midi. Cela le gêne dans son parcours. Il ne se sent pas comme les autres, et ne comprend pas pourquoi l'école ne tient pas compte de sa différence, et ne s'empresse pas de faire le nécessaire pour ajuster ses droits au même niveau que les autres.

Vous les écoutez. Il s'agit des parents des amis de vos enfants, il vous faut les respecter. Vous prenez une gorgée de votre godet de jus d'orange, doucement, en vous concentrant pour ne pas vous étouffer. Une mère demande à ce que la cafétéria ne serve plus de bâtonnets de poisson pané tant que sa fille se trouvera dans les parages. Si la petite est en contact ne serait-ce qu'avec le fumet d'un quelconque poisson, elle peut s'évanouir et mourir net. Ne pas accéder à cette demande équivaut à contribuer à ce qu'un meurtre non prémédité se déroule, sous vos yeux complices. Une autre s'inquiète depuis que son enfant est un des seuls à ne pas avoir d'allergie, cela le fait se sentir exclu. Il rentre de l'école abattu, ne comprenant pas pourquoi lui, il n'est pas malade de tout et de rien comme les autres. Il en pleure même jusque dans son lit le soir venu. Son coeur de mère, on le comprend, est brisé.

Vous rentrez chez vous vers minuit, assommé. Incapable de vous rappeler ce que vous êtes allé faire là. Vous avalez deux cachets d'analgésique 500 milligrammes avant de vous coucher, puis vous rêvez d'un monde où l'on ne demande plus l'opinion de tous. Un monde où les professeurs ont le droit de décider et où les enfants ne sont plus les clients de la commission scolaire. Là où il est encore bien vu de travailler pour apprendre. Un pays où la démocratie n'est pas quelque chose qui dérape et dégénère. Puis vous vous réveillez en sursaut. Déjà sept heures.