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Montréal: la grenouille qui voulait être aussi grosse que le boeuf

Il était une fois une petite ville de taille moyenne.

Elle n'était pas très riche, elle n'était pas très grosse. Son centre-ville était à peine plus grand qu'un arrondissement de Paris.

Alors que la plupart des grosses métropoles possèdent plusieurs quartiers « hot », celle-ci ne pouvait compter que sur deux ou trois rues pour divertir les touristes : la rue Mont-Royal, une petite partie du boulevard Saint-Laurent et la rue Crescent.

Mais qu'importe : la petite ville voyait grand et visait haut. À l'entendre parler, elle était une capitale internationale.

Elle se comparait toujours à Paris, à New York, à Los Angeles. Elle voulait avoir un casino comme à Vegas, rêvait d'un quartier des spectacles comme à Londres.

Elle n'était pas très belle, la petite ville. Elle s'habillait n'importe comment, avec des oripeaux empruntés ici et là. Elle n'avait pas de style, pas de goût. Une profonde cicatrice traversait son corps d'Est en Ouest, son visage était criblé de nids de poule, son hygiène laissait à désirer, elle était plus large que haute.

Mais elle avait du chien pour dix.

Contrairement aux autres métropoles qui roulaient sur l'or, la petite ville n'avait pas beaucoup d'argent. Cela ne l'empêcha pas de mener un train de vie d'enfer. Jeux Olympiques, stade géant, salle high-tech pour son orchestre symphonique, Compétitions internationales de Jeux Aquatiques, Outgames, trois Festivals internationaux de cinéma -la Ville dépensait sans compter. Elle ouvrait son centre-ville à quiconque lui promettait un peu de glamour, un peu de rêve. Elle était facile, naïve, innocente.

Elle avait la tête dans les nuages et les pieds dans la boue.

Mais un jour, la réalité la rattrapa.

Les banques commencèrent à lui dire Non, les institutions de crédit remirent ses choix en question, ses anciens amants la quittèrent pour flirter avec ses nombreuses banlieues, plus jeunes, plus vertes, moins gourmandes financièrement. Elle se retrouva sur la paille.
Aux dernières nouvelles, la petite ville tirait le diable par la queue. Son projet de méga casino s'était envolé en fumée, elle avait de sérieux problèmes de fric et avait perdu beaucoup de poids.
Mais elle continuait de rêver à voix haute. Elle disait à tous ceux qui voulaient l'entendre qu'elle allait devenir plus grosse et plus riche que sa rivale Toronto, qu'elle avait des projets pleins la tête, que les banques avaient (enfin) accepté de lui prêter de l'argent.
Vrai? Pas vrai?
Personne ne le sait.
Une chose est sûre, cependant : Montréal sera toujours Montréal.
Sympathique, ambitieuse, irresponsable, fofolle – à l'image de l'héroïne de Breakfast At Tiffany's.
Une petite fille de province timide qui se prend pour une Jet-setteuse internationale.

* * *

Il y a quelques années, j'ai entendu une pub radio vantant les mérites d'un restaurant montréalais: « Le Resto X est situé sur la rue McGill College, les Champs Élysées de Montréal! »

Je vous le jure : les Champs Élysées de Montréal!

La rue McGill College est à peine plus longue qu'une ruelle, et elle se prend pour la plus célèbre avenue de la planète!
Juste parce qu'on y trouve deux, trois terrasses et une douzaine de lampadaires.

Bonjour l'humilité.

Pour moi, Montréal, c'est ça : une petite ville de taille moyenne qui joue à être plus grosse que le boeuf.

Le jour où Montréal cessera de se prendre pour Vegas ou Paris, et commencera à se comparer à des villes de taille et d'envergure équivalentes (Pittsburgh, Lyon ou Philadelphie, par exemple), ce jour-là, Montréal aura atteint l'âge adulte.

D'ici là, elle n'est qu'une ado.
Charmante, peut-être, mais complètement déconnectée de la réalité.

(Ce texte a originalement été publié dans le magazine Infopresse)