On l’a répété souvent depuis quelque temps: Robert Lepage n’en est pas à sa première esquisse de la pièce. Les avenues de La Tempête sont multiples. Rédemption, pardon et sérénité sont des vocables maintes fois utilisés pour décrire cette dernière ouvre de William Shakespeare. Cette boucle narrative, intelligemment nouée par l’auteur, n’a rien de facile. Au cour de cette Tempête, on retrouve l’essence même des contradictions de la Renaissance. Emportement et exaltation face aux découvertes et aux possibilités humaines. Peur et angoisse de l’anéantissement; contemplation résignée du paradis perdu. Il ne faut donc pas diluer ces éléments, les camoufler et les travestir sous des apparences de faux lyrisme. Robert Lepage l’a bien compris. Sa proposition est ouverte, généreuse. Là où on aurait pu craindre que la forme l’emporte sur le contenu, le metteur en scène surprend agréablement par sa justesse et sa pertinence.
Il est vrai qu’il fait appel à la technologie des images 3-D, une première au théâtre. Mais l’utilisation qu’il en fait ne dénature en rien le propos. Elle permet des changements de décors nous transportant aux quatre coins de l’île de Prospéro. Et les manifestations évoquées par le magicien, qui tout à coup se matérialisent devant nos yeux équipés pour l’occasion, ne sont pas assez nombreuses pour spolier l’espace créatif nécessaire au spectateur de théâtre. Un dosage parfait dans un écrin scénographique ingénieux. Un plateau aux multiples possibilités d’entrées et de sorties, issu de l’imagination de Robert Lepage, sert de scène à la représentation orchestrée par un Prospéro parfois en retrait, observateur.
Le côté périlleux de ce type de spectacle où la technique doit se marier parfaitement avec l’aspect humain comporte des désavantages. Le rodage s’avère plus ardu, le rythme plus difficile à trouver. Peut-être que le temps a manqué? Nous ne sommes pas dans le secret des dieux… Au soir de première, tout n’était pas au point. Le ton n’était pas toujours des plus justes et on sentait, parfois, un peu de désarroi chez certains comédiens. Le tonus du spectacle s’en ressent, inévitablement. Paul Hébert campe un Prospéro solide mais très émouvant. Le monologue final, interprété au proscenium, fait passer un fort courant d’émotion dans la salle. Dommage que le bruit des vagues qui l’accompagne ait été un peu trop présent… Évelyne Rompré donne à Miranda toute la grâce et la candeur voulue et Lorraine Côté, égale à elle-même, livre un Ariel de fort belle composition. Et on ne peut passer à côté de la performance de Marco Poulin en Caliban. Chapeau! Le reste de la distribution, de Francis Martineau à Jean-Jacqui Boutet, en passant par les Jacques Leblanc, Pierre-Yves Charbonneau, Pierre Gauvreau, Richard Fréchette, Réjean Vallée et Michel Lee, s’en tire très honnêtement. Dans leur bouche, les mots de Shakespeare traduits par Normand Chaurette. Une traduction brillante, inspirée et coulante. Du bonbon.
Jusqu’au 23 mai
Au Grand Théâtre
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