Carrefour international de théâtre de Québec : Lepage et Cie
Depuis une semaine, les forces théâtrales convergent vers la Vieille Capitale, où se tient le quatrième Carrefour international de théâtre de Québec. Brigitte Haentjens et Marie Gignac président conjointement, pour la première fois, à une édition très chargée et éclatée: 21 spectacles, dont une forte délégation française et un important contingent local.
Le week-end dernier, toute la faune montréalaise (j’exagère à peine…) s’était transportée à Québec pour assister, entre autres, à une représentation de La Tempête, signée Robert Lepage. Sa cinquième mise en scène de la pièce de Shakespeare. Peut-être celle qui lui ressemble le plus, Lepage étant lui aussi un maître des illusions. Quoique sa magie ne suffise plus à jeter de la poudre aux yeux… Les «hocus pocus» prennent ici la forme de projections en trois dimensions, qui nous valent de jolies images dansantes et le port sporadique d’énormes lunettes 3D. Passé l’effet de surprise, ces images, il faut bien l’admettre, n’ajoutent pas grand-chose à la pièce.
C’est le problème de cette production soignée et plutôt soporifique, portée par la traduction musicale de Normand Chaurette: elle vaut plus par ses trucs – et ses magnifiques costumes – que par une vision forte du texte. A priori, le dépouillement scénographique, la souplesse du dispositif scénique siéent bien à cette ouvre sur le pouvoir de la création. Encore faut-il compter sur une forte distribution. Hormis le trio principal (Paul Hébert, Lorraine Côté et Evelyne Rompré, qui s’en tirent honnêtement), la direction d’acteurs est un des talons d’Achille du créateur d’images. Un signe, peut-être?: l’une des plus belles scènes de la production est celle où Prospéro renonce à ses pouvoirs magiques…
L’intégration de la vidéo est aussi à l’honneur dans Éros, création (pas encore aboutie, hélas) d’une jeune troupe québécoise audacieuse, les Moutons Noirs, qui reprend en programme double son Thanatos, qu’on dit enlevant. Récit lourd et assez confus, Éros lie le désir à la mort dans l’Europe de la Grande Guerre. Une atmosphère intrigante, distillée par une trame sonore insolite, et par des images tirées d’archives et de films noirs; mais quelques bonnes idées ne suffisent pas à colmater les trous du texte de Marie-Christine Lê-Huu. Mal servi par des comédiens pas très justes, le ton expressionniste du spectacle devient plutôt agressant. (A la salle Multi de Méduse, jusqu’au 31 mai.)
Une curiosité française, Quel est ce sexe qu’ont les anges?, tablait pour sa part essentiellement sur la parole. Eugène Durif et Catherine Beau, fondateurs de L’Envers du décor, ont adapté les théories absurdes d’un contemporain de Darwin, Jean-Pierre Brisset. Or, la science d’hier est parfois la comédie d’aujourd’hui. Démonstration phonétique à l’appui, bruiteur en sus, les conférenciers puisaient dans la langue (décomposée en une sorte de rap burlesque) les «preuves» de leur hypothèse, soit que l’homme descend de la grenouille… Un spectacle original et réjouissant, quoiqu’un peu étiré. La bouille hautement théâtrale des interprètes, leurs mimiques (la physionomie lunaire de Durif, surtout) valaient le spectacle à elles seules.
S’il est trop tard pour assister à cette désopilante fantaisie, le Carrefour se poursuit jusqu’à dimanche, avec la présentation de quelques spectacles attendus. Au programme, notamment: Pereira prétend, mis en scène par Didier Bezace, d’après Tabucchi; et 70 Hill Lane, de l’Improbable Theatre, d’Angleterre. Les Montréalais qui ont goûté le remarquable Speak Bitterness, présenté par Théâtres du Monde, voudront peut-être voir Showtime, un autre spectacle (dans une veine très différente, paraît-il) de la décapante troupe anglaise Forced Entertainment.
Jusqu’au 31 mai
Réservations: (418) 692-3030