Huy-Phong Doàn : Violence et passion
Scène

Huy-Phong Doàn : Violence et passion

En lisant la feuille de route de Huy-Phong Doàn, «le» chorégraphe de combat des écoles et productions de théâtre à Montréal, on se figure un vieux maître à barbe blanche. Il n’a pas de barbe et, malgré sa faconde empreinte de sagesse, Phong, comme l’appellent ses amis, n’a que 33 ans. Parti de son Viêt-Nam natal à 14 ans, il est resté marqué par l’expérience de la guerre. Initié très tôt aux arts martiaux, c’est le plaisir qui l’amène à monter La Légende du manuel sacré, qui prend l’affiche à l’Espace Libre le 29 mai.
Avant de venir au Québec, l’aspirant metteur en scène a vécu en France, où il a fait une maîtrise en droit à la Sorbonne, et des études en histoire de l’art. Un copain passionné de films de série B l’attire vers le cinéma – où il fréquente Léos Carax, Denis Lavant – , puis le théâtre. Il rencontre alors Louise Lavoie, comédienne québécoise en stage à Paris, qui le ramène avec elle à Montréal. On ne s’étonnera pas que le premier à lui faire signe, chez nous, pour un spectacle intégrant les arts martiaux, soit Jean-Pierre Ronfard, l’un des acteurs de La Légende du manuel sacré.

Avec d’anciens élèves de l’École nationale de théâtre, notamment Claude Despins, Marie-Hélène Fortin, Caroline Binet, auxquels s’ajoutent Louise Lavoie et Patricia Pérez, il fonde le collectif Voies Obscures. A la base de leur pratique, le wushu, une technique de combat utilisée par l’Opéra de Pékin, un art martial de spectacle, essentiellement.

«Le jeu (théâtral) est très proche du combat, explique Huy-Phong Doàn: c’est une intention qui part d’un point et se rend à un autre point très précisément. Au théâtre, les acteurs ont tendance à jouer avec le haut de leur corps tandis que dans les arts martiaux il faut se connecter avec le sol, descendre le poids du corps: toute notre force vient de là. Souvent on lutte contre la gravité alors qu’il faut l’utiliser et tirer de cette racine l’appui pour aller porter nos coups. Au théâtre, c’est la même chose: on voit tout de suite si l’acteur est bien planté au sol.»

La Légende du manuel sacré, que le metteur en scène a écrit en collaboration avec Olivier Choinière, est une saga qui nous entraîne dans la Chine antique. Des personnages plus grands que nature s’y battent autour d’un manuel d’art martial qui a le pouvoir de rendre invincible celui qui en pratique les techniques. Un homme s’y transforme en femme, mais le thème principal est la violence et son contraire, la recherche de la paix. Une préoccupation de tous les instants pour Huy-Phong Doàn.

Lui qui a réglé les scènes de combat de dizaines de spectacles, tels Cyrano de Bergerac et Don Quichotte au TNM, dit: «J’ai toujours peur que les combats aient l’air esthétiques. La violence est souvent difficile à assumer pour les acteurs. Tant qu’on n’a pas vu mourir quelqu’un sous nos yeux, ou subir des choses atroces, on peut raconter mais ça reste un discours intellectuel, ça ne rentre pas dans les tripes et on n’arrive pas à exprimer la vie, la mort, qui sont des choses très graves. Quand on perd quelqu’un, c’est sans retour. Il y a un tel phénomène de banalisation dans notre société, avec l’accès à l’information, à l’image.»

Seul l’entraînement poursuivi depuis des années, basé sur la précision et la concentration, permet aux comédiens d’éviter les risques très réels de blessure. Ils travaillent avec des sabres et tout est placé, il n’y a aucune place pour l’improvisation. «On est comme dans une prison de mouvements et il faut trouver sa liberté, l’instinct, l’émotion, dans ça», explique Phong. Dans un environnement scénique dépouillé à l’extrême, où les maquillages, les costumes et la lumière font office de scénographie, les comédiens Maxim Gaudette, Catherine Allard, Rodrigue Proteau et Diego Thornton se joindront à ceux mentionnés plus haut pour cette expérience de théâtre à l’orientale.

A l’Espace Libre
Du 29 mai au 20 juin
Voir calendrier Théâtre