Ne serait-ce qu’en termes de fréquentation, la progression du Carrefour est manifeste: plus de 18 000 spectateurs ont assisté aux 107 représentations offertes dans le cadre du festival, ce qui dépasse l’objectif initial de 17 500 spectateurs de quelques centaines de têtes. Il y a deux ans, c’était un peu plus de treize mille spectateurs qui franchissaient les guichets.
Il faut dire que le nombre de spectacles présentés au Carrefour a lui aussi augmenté: de dix spectacles en programmation officielle en 94, on est passé à douze, répartis en séries France, Shakespeare et Création. Ce qui, avec les séries Famille et Nouvelle Garde, s’additionnait en un joli total de 21 spectacles, proposant un large éventail de ce qui se fait sur les scènes du monde entier.
Car si la troisième édition du Carrefour était celle des maîtres (rappelez-vous: Benno Besson, Peter Brook, Kazuo Ohno.), cette fois c’était davantage le rendez-vous de ceux qui montent. La série France, par exemple, a introduit des aspects moins connus de la pratique théâtrale hexagonale: d’un côté, Le Cri du caméléon d’Anomalie – cirque compagnie, mis en scène par Josef Nadj, très acrobatique, basé sur une expression essentiellement gestuelle et européen de l’est dans l’esthétique; à l’opposé, Pereira prétend, mis en scène par Didier Bezace, plus littéraire, minimaliste dans l’interprétation et scénographiquement dépouillé. La série Shakespeare était quant à elle moins étoffée (deux spectacles.), mais elle a permis de voir une mise en scène de Robert Lepage qui flirtait avec une technologie nouvelle. Les salles étaient combles, mais l’accueil fut mitigé et malgré l’impression que laissaient les projections en trois dimensions, force est d’admettre que cette Tempête manquait parfois de souffle. Par contre, le Hamlet du metteur en scène lituanien Eimuntas Nekrosius en a frappé plus d’un: qu’on aime ou non, ce Hamlet tonitruant, parfois racoleur, était un choix de programmation des plus pertinents, en ce sens qu’il ouvrait véritablement sur des visions théâtrales comme on en voit peu ici.
Mais c’est sans doute la série Création qui recelait les plus belles surprises du Carrefour. Les deux pièces britanniques, entre autres, ont fait des heureux, qu’il s’agisse du bordélique Showtime ou du sympathique et inventif 70 Hill Lane, on trouvait là un vent frais qui, espérons-le, aura des suites. Qu’il y ait eu des moins bons coups ou des déceptions importe peu: du nombre de pièces présentées, on s’attendait d’abord à un aperçu fiable de ce qui se joue ici et ailleurs; nous l’avons eu, et de belle façon, avec cette édition qui prouve encore une fois que le Carrefour est devenu une institution solide, nécessaire et surtout, crédible.