Bilan du Festival Danse Canada : Tour de piste
Scène

Bilan du Festival Danse Canada : Tour de piste

Les spectateurs ayant assisté au premier week-end du Festival Danse Canada, à Ottawa, ont eu un avant-goût de ce que leur réserve la programmation montréalaise des prochains mois. Au menu: des créations de ROGER SINHA, JOSÉ NAVAS et GINETTE LAURIN. Petit bilan.

La première moitié de la programmation du Festival Danse Canada, qui avait lieu du 5 au 14 juin, à Ottawa, comportait des spectacles qui seront à l’affiche à Montréal au cours des prochains mois. Ce n’est pas par patriotisme qu’il sera question dans cette chronique uniquement de chorégraphes établis au Québec. C’est que les compagnies de Toronto ou de Vancouver, comme le Toronto Danse Theatre ou le Battery Opera, qui donnaient un spectacle pendant le premier week-end du Festival, n’ont pas de tournée québécoise imminente prévue à leur agenda.

Cette année, la direction artistique a confié à un chorégraphe pratiquement inconnu du grand public la lourde tâche de monter le spectacle d’ouverture. Roger Sinha, qui aime créer des chorégraphies «à messages», a choisi d’y traiter d’un thème délicat et controversé, celui de la dépendance aux drogues. Malgré ses bonnes intentions, il a plus ou moins réussi à exposer son point de vue de façon structurée. Sa chorégraphie, intitulée Glace noire, avait le défaut d’être construite sur une base friable, donnant l’impression d’un travail inachevé.

Le spectateur ne savait trop, en effet, sur quel pied danser. Les interprètes pouvaient glisser d’une séquence réaliste, où un homme tente de retenir sa partenaire, attirée par les démons de la drogue, à une autre totalement abstraite, sans qu’il n’y ait de transition entre les deux. Manque de pot: même la gestuelle et les décors manquaient d’unité. Des mouvements d’une simplicité navrante précédaient des mouvements athlétiques, parfois esthétiques. Certains passages sauvaient la pièce de l’ennui, comme ce numéro du crooner qui surgissait comme une bouffée d’air frais au cours du dernier quart d’heure. Cette séquence humoristique nous rappelait l’une des forces de Roger Sinha: sa capacité à surprendre son public au moment où il s’y attend le moins. Peut-être était-il trop tôt dans la carrière du chorégraphe pour lui confier un si gros mandat? Peu importe, Glace noire devrait être dansée à l’Agora de la danse au début de l’année 1999. Souhaitons qu’elle gagne en maturité d’ici là.

Chose certaine, le spectateur ne pouvait reprocher au chorégraphe José Navas d’être en panne d’audace et d’originalité. Avec ce chorégraphe, en voie de devenir le chouchou des amateurs de danse contemporaine, on savait qu’on serait touché malgré les nombreux artifices déployés sur scène. Au studio du Centre national des arts, Navas présentait un programme composé de deux solos, dont la reprise de Bosquejo, et d’un trio mettant en scène le chorégraphe, une complice de longue date, Dominique Porte, ainsi qu’une nouvelle venue aux côtés de Navas, Estelle Clareton.

Signé par le New-Yorkais Bill T. Jones, le premier solo misait sur la sobriété du mouvement. Ce n’est qu’au cours de la seconde tranche du spectacle (Bosquejo) que le spectateur s’est trouvé projeté dans un univers étrange et fascinant. Habillé de filets métalliques et coiffé d’une perruque de bouclettes d’argent, le danseur exécutait des mouvements tantôt lents, tantôt vifs et précis. Même vêtu de la sorte, Navas parvenait à émouvoir le spectateur grâce à sa présence puissante. Le trio qui clôturait le spectacle était sensiblement de la même teinte. Affublés de lunettes fumées alors que leur corps était à moitié nu, les protagonistes se déployaient, chacun à leur tour ou tous ensemble, dans un nuage de plumes roses. Une pièce intrigante conçue par José Navas, en collaboration avec Chi Long, Dominique Porte et Estelle Clareton, qui mettait en valeur les talents de chaque interprète. Clareton s’y est d’ailleurs révélée étonnante. Ce programme sera à l’affiche de l’Agora de la danse, en septembre prochain.

Autre pièce attendue par le public du Festival: En dedans, de Ginette Laurin, créée pour sa compagnie O Vertigo. Oubliez l’esthétique parfois chargée de Déluge et de La Bête, la chorégraphe a privilégié ici une scénographie dépouillée. Le spectateur ignorant le travail d’O Vertigo fut sans doute charmé par cette pièce, pourtant pas la plus intéressante du répertoire de la compagnie. Ginette Laurin est restée fidèle à elle-même en signant une gestuelle complexe, exigeante et ponctuée de légers gestes de la main et de piétinements, typiques de son langage. Le hic, c’est que la beauté du mouvement et de la musique dominait les émotions, servies au compte-gouttes. Mais rien pour empêcher les spectateurs de s’exclamer d’admiration devant certains tableaux. En dedans sera à l’affiche de l’Espace Go, au début de décembre.