Mort accidentelle d’un anarchiste : La société métisse
En présentant la pièce à succès de Dario Fo, avec une distribution mi-italophone et mi-francophone, le Théâtre de la Ribalta joint les ligues majeures. Mais ne livre pas encore un spectacle complètement abouti.
La drôle de production de Mort accidentelle d’un anarchiste que présente le Théâtre La Ribalta est une rareté à plus d’un titre. D’abord, parce qu’on ne peut pas dire que les théâtres québécois aient abusé des ouvres de Dario Fo. Le Nobel italien a été peu monté ici, à tout le moins ces dernières années. Mais aussi, à cause du métissage, peu commun sur nos scènes, d’une distribution qui mêle allégrement les origines nationales et les niveaux d’expérience.
Et c’est un peu ce à quoi on a droit sur les planches du Quat’Sous, pour la première production tout en français – quelques expressions du cru exceptées – de cette compagnie qui, il y a quelques années à peine, était encore considérée comme non professionnelle: un objet assez curieux, fortement inégal, encore imprégné de relents d’amateurisme, mais non dénué de trouvailles et de bons coups.
Écrite en 1970, dans le sillage de grands troubles sociaux et politiques en Italie (une flambée de terrorisme), et en lignée directe avec le décès suspect d’un cheminot anarchiste, Mort accidentelle… se déroule entièrement dans un commissariat de police. Un fou pas si fou (Silvio Orvieto) s’y improvise dans le rôle d’un juge d’instruction, chargé d’élucider l’affaire. Il va débusquer la vérité, en piégeant les policiers dans leurs mensonges absurdes.
La dénonciation du pouvoir et de l’apathie populaire («le scandale est la catharsis des masses») par Fo reste probante, forte; plusieurs répliques font mouche. Mais la production apparaît très grosse, très hétérogène. Afin de ne pas empeser encore davantage un message politique un peu trop ancré dans son époque, la metteure en scène, Denise Agiman, a décidé de pousser franchement le spectacle dans les bras de la commedia dell’arte, un style de toute façon cher à Dario Fo. D’autant plus que c’est justement par le jeu, via le port d’un masque (socialement parlant), que le Fou va faire éclater la vérité. Mais, pour tout dire, le spectacle se pare de couleurs carrément burlesques, surtout en seconde partie. Quitte à perdre le cour du texte dans la brume, occasionnellement…
Un burlesque que la mise en scène ne maîtrise pas toujours très habilement. Avec des moyens manifestement limités, cette production donne à voir le texte un peu à l’état brut, dans des atours plus ou moins grossiers, dans un décor fauché et peu inspirant. Probablement à cause de l’inexpérience d’Agiman, le spectacle manque d’un souffle soutenu, d’une ligne directrice forte, d’une précision aiguisée, en dépit d’ingénieuses facéties visuelles. Le rythme se fait parfois poussif; les détails amusants côtoient les scènes qui tombent à plat.
Une inégalité reproduite dans la distribution même, où italos et francophones se donnent la réplique, et se contaminent l’un l’autre, tous arborant un léger accent italien (vrai ou faux). Un amalgame qui donne un résultat pas inintéressant. C’est, par exemple, un plaisir rare que de voir Martine Beaulne camper un personnage de composition (un policier débonnaire et benêt), avec une désopilante bonhomie. En outre, le très sérieux Gabriel Gascon y joue, avec un stoïcisme d’autant plus cocasse, de son image très digne. Et d’y aller d’une petite danse risible. Une vision pour le moins étrange…
Quant à Silvio Orvieto, avec sa bouille naïve et lunaire à la Roberto Benigni, il possède manifestement l’étoffe d’un comique. Si son jeu n’est pas soutenu de bout en bout, plus souvent qu’autrement, il nous entraîne dans son délire. Chez d’autres comédiens, disons que c’est plus laborieux…
Ce Dario Fo à moitié italien, objet hybride s’il en est, se révèle donc une expérience globalement insatisfaisante, mais truffée de bons moments. Cette production métissée apparaît, pour l’instant, comme une sorte de pionnière dans son genre. Il serait donc illusoire d’espérer en voir émerger un spectacle complètement abouti.
Jusqu’au 28 juin
Au Quat’Sous
Voir calendrier Théâtre