15 Secondes : En pièces détachées
Vous le savez probablement déjà: 15 Secondes n’est pas vraiment une pièce comme les autres. Reprise par le Théâtre Juste pour rire, la comédie douce-amère de François Archambault est née du désir d’un jeune comédien atteint de paralysie cérébrale, Dave Richer, de monter sur les planches. L’auteur a donc pris la plume pour lui composer un rôle à sa mesure, cernant les problèmes d’un handicapé qui aimerait vivre ses désirs amoureux comme tout le monde.
La sexualité débridée, la politique: Archambault a souvent confronté les tabous. Ici, il s’aventure à pas de Sioux dans un territoire vierge. Même si la pièce regorge des traits d’humour qui ont fait la marque de l’auteur de Cul sec, 15 Secondes n’est pas, disons-le d’emblée, son meilleur texte, le dramaturge n’ayant pas tout à fait réussi à transcender l’ouvre de commande, et à éviter tous les pièges posés par ce sujet miné. S’il se révèle assez direct, le texte ne sait pas toujours faire l’équilibre entre la vérité et les visées sociales, entre l’audace et les bonnes intentions.
Un peu manichéens, les personnages sont équarris tout d’une pièce, sans le cynisme qui pouvait faire passer les archétypes de Si la tendance se maintient et de Cul sec. Histoire sans doute de désamorcer les préjugés, 15 Secondes fonctionne en fait sur un renversement de perspectives. Mathieu, que la négligence d’un médecin a handicapé à la naissance – élocution entravée, démarche désarticulée, proche des déhanchements d’un danseur -, est un jeune homme autrement intelligent, autonome, charmant, doté d’un irrésistible esprit pince-sans-rire, parfaitement équilibré. Presque trop beau pour être vrai…
C’est son frère (Normand D’Amour, très solide), velléitaire au chômage, archétype du jeune sacrifié de la Génération X aimant pester contre les baby-boomers, qui fait office de mésadapté de service: il a appris à «faire chier le monde pour exister». Explication officielle: pas facile de susciter la fierté parentale quand ton frère part de si loin…
Ainsi, l’écriture manque parfois de subtilité. La scène charnière de la pièce, celle qui précipite les rapports amoureux entre Mathieu et la blonde de son frère (Marie-Hélène Thibault), alors que débarque un ex brutal et d’une bêtise vraiment primaire (Michel Laprise, guère convaincant dans un rôle grossièrement dessiné), s’appuie sur des relations humaines très simplistes. Et expliquez-moi l’utilité du dialogue entre les deux gars «normaux» à la taverne…
Pourtant, 15 Secondes, mise en scène sans flaflas par D’Amour, possède un charme indiscutable. Au-delà de son occasionnel petit côté Janette – voyez: les handicapés sont des gens comme les autres -, et au-delà de sa morale sur le mode «on est tous des handicapés», un naturel certain émerge. La force du spectacle réside probablement dans la complicité, chaleureuse mais très virile, style «rentre-dedans», entre les deux frangins; reflet bien senti de l’amitié entre les interprètes à la ville. Via cette relation saine et costaude, 15 Secondes a le mérite de prendre son sujet à bras-le-corps, sans pincettes ni gentillesse de bon aloi.
C’est beaucoup à la personnalité du comédien principal que l’on doit ce naturel. Jouant de son charme, montrant une belle autodérision, sans aucun arrière-goût âcre, Dave Richer en fait presque de l’ombre à la pièce, conçue comme un écrin pour sa présence, et, comme telle, un peu déséquilibrée. Une pièce, imparfaite ou pas, que Richer méritait bien.
Jusqu’au 18 juillet
A l’Espace Go
Voir calendrier Théâtre