Corpus dolorosa : Le pas de Calais
Scène

Corpus dolorosa : Le pas de Calais

A l’occasion de l’exposition Rodin à Québec, ÉRIC PETTIGREW propose son interprétation du Monument aux bourgeois de Calais. Ouvre poignante, Corpus dolorosa nous replonge au Moyen Age en abordant une valeur démodée: le sacrifice.

Avez-vous vu Rodin? Si oui, vous avez forcément remarqué l’imposant Monument aux bourgeois de Calais. De toute la collection, c’est cette ouvre qu’a préférée Éric Pettigrew lorsque le Musée Rodin de Paris lui a ouvert ses portes pour son travail de chorégraphe. «Un coup de foudre!» affirme-t-il. Rappelons que la sculpture, commandée par la ville de Calais il y a une centaine d’années, rend hommage aux six notables qui ont donné leur vie pour que le roi Édouard III d’Angleterre consente à lever le siège de Calais en 1347. Les six hommes sont représentés au moment où ils vont vers la mort de leur plein gré.

Seul en scène, Éric Pettigrew incarne les personnages l’un après l’autre, mais il pourrait tout aussi bien s’agir d’une seule personne qui passe par toute une succession d’états d’âme en abandonnant ainsi la vie: peur, révolte, détachement… Aucune échappatoire: derrière, la vie, devant, la mort. Pour bien faire sentir cet itinéraire forcé, le danseur limite ses déplacements à une étroite passerelle entourée d’eau. Un déchirement de chaque instant, parfaitement traduit par la bande de latex qui pend d’un bord à l’autre de la scène et à laquelle le danseur se raccroche. Une sorte d’immense lambeau de chair.

Corpus dolorosa prend ses distances avec le contexte historique du monument. On reconnaît bien ici et là certaines poses, les lourdes mains caractéristiques de l’ouvre de Rodin, par exemple, mais les références couvrent plus grand. Parmi les images troublantes, ces flashbacks de chemins de croix s’imposent. Avec son ossature saillante, le danseur est d’ailleurs crédible en supplicié. Après la représentation, il confirme ces influences. «C’est vrai que c’est très pictural», admet-il, en ajoutant que le sujet se serait mal prêté à une abondance de mouvements. Ce choix d’une gestuelle sobre accentue la nature spirituelle du thème.

Avec cette première création chorégraphique, Pettigrew réussit à transmettre la douleur avec d’infinies subtilités. Il tire profit de son expérience de comédien et de mime en utilisant beaucoup les expressions du visage. Ses gestes exténués se déclinent en différentes qualités d’énergie. Il évite l’impression de redondance qu’aurait facilement pu donner l’unité du sujet. Aucune éclaircie, cependant, dans tout ce drame. La danse est prenante jusqu’au malaise. Vingt-trois minutes de souffrance difficiles à soutenir. Peut-être est-ce le prix à payer pour vivre l’expérience avec ses tripes…