Encore une fois, si vous le permettez : Scènes de famille
Parenthèse dans son ouvre dramatique, la nouvelle pièce de MICHEL TREMBLAY rend un bel hommage à sa mère disparue. Tout en offrant un rôle grandiose à la remarquable RITA LAFONTAINE. Touchant.
Dans le prologue d’Encore une fois, si vous le permettez, Michel Tremblay nous avertit d’emblée qu’on ne verra pas dans sa nouvelle pièce d’héroïnes plus grandes que nature à la Phèdre ou à l’Andromaque. Rien qu’une femme simple, un personnage «multiple et universel» qui, finalement, les vaut bien toutes. Inutile – mais amusante – mise en garde, puisque toute l’ouvre de Tremblay, depuis trois décennies, s’est ultimement confrontée à ce défi d’élever les personnages du Plateau – nos voisins – à hauteur tragique.
Comment s’étonner, dès lors, que la mère du dramaturge, la petite Nana, enfant de Saskatchewan aboutie sur la rue Fabre, que la «grosse femme d’à côté» devienne le centre d’une pièce?
Créée à l’occasion du trentième anniversaire des Belles-Sours, et du cinquantième du Théâtre du Rideau Vert, Encore une fois… paraît pourtant atypique de l’ouvre dramaturgique de Tremblay, formellement parlant. Cette courte pièce ne possède pas l’architecture complexe et ouvragée d’Albertine, en cinq temps ou du Vrai monde?. Son ambition est autre. En fait, elle se rattache bien davantage à l’univers d’Un ange cornu avec des ailes de tôle, ce délicieux recueil de mémoires où Tremblay faisait entendre, déjà, la voix inimitable de sa mère (le chapitre sur les malheurs de Patira y est d’ailleurs reproduit plus ou moins intégralement, à quelques modifications près).
On y retrouve la même simplicité humaine, la même verve savoureuse dans les dialogues, le même naturel auquel se mêle la grandiloquence maternelle. On retrouve surtout, dans cette belle parenthèse dramaturgique, un portrait extrêmement vivant et coloré de sa mère.
Composé de quelques tableaux enchaînés très simplement, d’une succession d’échanges entre Nana et son fils à différents âges (10, 13, 16, 18 et 20 ans), le texte se veut un hommage amusé et attendri de Michel Tremblay à sa mère qui fut, pourrait-on dire, sa première actrice. Tout ce qu’elle touchait devenait théâtral. Elle qui, devant ses frasques de gamin, l’imaginait déjà à la morgue, un pied anonyme dépassant du drap… Elle qui aimait mieux penser au pire, quitte à être soulagée après. Elle qui aura toujours préféré l’imagination à la vraisemblance, l’exagération à la réalité («les affaires sont jamais assez intéressantes pour qu’on les raconte telles quelles»), les histoires inventées à l’affrontement direct de la vérité. De la graine d’auteure, quoi.
Ce don pour le dialogue qu’elle lui a légué, Tremblay le lui rend généreusement dans cette pièce qui multiplie les scènes cocasses et les bons mots. L’auteur de Douze Coups de théâtre sait donner aux petites scènes du quotidien une valeur emblématique, bifurquer d’éléments apparemment banals vers des thèmes essentiels. Comme la mort, ou le rôle de l’art. Encore une fois… est émaillée de réflexions et d’interrogations, dans un registre sans prétention, sur la littérature, le théâtre, leurs faux-semblants, le rapport entre le public et une ouvre (les comédiens du téléthéâtre pensent-ils parfois à moi, comme je pense à eux? se demande Nana en évoquant Huguette Oligny)… Perce aussi en filigrane, à travers ces conversations, la genèse d’un auteur, nourri par le talent maternel.
Cette Nana si truculente et si attachante, damnante et irrésistible tout à la fois, est un merveilleux écrin pour le talent de Rita Lafontaine, qui lui donne vie de façon incomparable. Si magnifiquement «tremblaysienne», la comédienne est d’une présence et d’une véracité remarquables, qu’elle en rajoute dans le récit hilarant du minable récital de ballet d’une nièce abhorrée, ou qu’elle avoue être en train «d’accoucher de sa propre mort».
A côté de la débordante Nana, à qui Tremblay a eu la modestie de donner toute la place, le rôle dévolu à André Brassard, celui du narrateur, apparaît fort effacé. Son interprétation montre les mêmes qualités que sa mise en scène: une sobriété attentive, une discrétion qui sert le spectacle. Et il y a quelque chose d’émouvant à voir réuni ainsi le triumvirat Tremblay – Brassard – Lafontaine, comme une sorte de quintessence, de concentré de toute l’ouvre du dramaturge.
La conclusion pourra surprendre, qui envoie Nana, partie trop tôt pour voir son fils «de l’autre bord» de la clôture artistique, dans l’envers du décor. Dans cette finale en forme de clin d’oil, kitsch à souhait, Tremblay fait un cadeau à sa regrettée Nana en lui offrant un départ théâtral, qui consacre la victoire de l’imaginaire sur la réalité. Le dramaturge n’a fait que rendre sa mère au théâtre, un monde auquel elle a toujours appartenu, dans le fond.
Jusqu’au 5 septembre
Au Théâtre du Rideau Vert
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