Diane Dubeau : Le choc du futur
Avec Élyse II, second volet d’une trilogie sur une artiste des années quarante à aujourd’hui, DIANE DUBEAU veut raconter une histoire avec des moyens différents du théâtre traditionnel. La forme avant toute chose.
Pas facile de définir Diane Dubeau. La créatrice a connu un itinéraire tortueux qui l’aura finalement conduite à toucher à tout dans le monde théâtral. D’abord formée en conception de décors et costumes, puis embauchée comme régisseuse et assistante à la mise en scène au Théâtre d’Aujourd’hui, elle a fait un long détour avant d’aller étudier l’interprétation à l’École nationale. Ajoutez, depuis plusieurs années, ses chapeaux d’auteure et de metteure en scène…
«J’aimerais tellement avoir une ligne directrice! laisse tomber Diane Dubeau. J’aimerais tellement que ce soit moins compliqué (rires). J’ai l’impression d’être constamment en apprentissage. C’est fabuleux mais fatigant. Je me demande parfois comment ça se fait que je me mets tout le temps dans des situations où tout est à apprendre, à renouveler, à défaire, à reconstruire. Et j’envie, secrètement, les gens qui font une seule chose. Ils sont acteurs et vont l’être jusqu’à la fin de leurs jours, point. Ça m’apparaît plus simple. En même temps, je ne ferais pas autre chose.»
Tout ça aura influé sur sa manière de faire du théâtre, de créer des constructions non linéaires, où «le texte est un matériau au même titre que les autres éléments» du spectacle, et où la créativité des comédiens est largement sollicitée. Des shows comme Autobiographie d’Élyse 1, 1940-1960, bien accueilli en janvier 97, et auquel le Théâtre de la nouvelle lune s’apprête à donner une suite, dès le 8 septembre, à l’Espace Libre.
Toujours signé en collaboration avec Michel Laporte, Élyse II (Autobiographie 1960-1980) est le second volet d’une trilogie retraçant «l’histoire d’une artiste à travers toute une époque». «Tripant» depuis toujours sur les arts visuels, ayant elle-même étudié la sculpture et l’espace, Diane Dubeau y fait jouer sa fascination pour l’évolution des arts plastiques depuis les années 40.
Cette suite n’en est pourtant pas vraiment une, puisque la protagoniste, Élyse, d’un âge immuable, est cette fois campée par une seule comédienne (Marie Brassard), au lieu d’un trio dans le précédent volet. «Je voulais que les trois spectacles de la trilogie soient indépendants les uns des autres», explique Dubeau. Très différent formellement du premier Élyse, le spectacle relève pourtant du même processus créateur. Une fois qu’elle a entre les mains une première ébauche de texte, la metteure en scène part en atelier d’exploration avec les acteurs (aussi: Éric Forget, Marie-Lise Hétu, Marika Lhoumeau et Jean Maheux), qui doivent souvent préparer une performance autour d’un thème donné. «Et à partir de là, tout le texte, l’aspect visuel se modifient. Donc, c’est constamment en allers et retours, en interactions avec tous les éléments qui forment un show.» Un brassage auquel s’ajoutent désormais les images de la vidéaste Manon Labrecque.
Tableau d’époque
Au contraire de la télévision, qui en a fait son beurre grâce à de populaires miniséries, le théâtre québécois s’est peu emparé de notre histoire. Diane Dubeau juge qu’«on est aveugles par rapport à notre passé», mais ce serait mal la connaître que de lui prêter une quelconque mission éducative. De toute façon, elle estime qu’on ne peut jamais reconstituer l’histoire, seulement l’évoquer. «On est constamment dans un imaginaire, même si on parle de l’histoire. Comment ça bouge, un personnage de 1940? On a toujours un regard d’aujourd’hui, qui applique des lentilles différentes au passé.»
Et, pour éviter de tomber dans la pédagogie, tout est affaire de point de vue, de parti pris. Après la période duplessiste, Élyse II se transporte durant la Révolution tranquille, la période la plus mythifiée de notre histoire… «En ce moment, on est bombardés d’images de Refus global et aussi des années 60, du Flower Power et tout ça. J’ai l’impression que ces années-là sont constamment traitées comme des années extraordinaires, où tout le monde tripait. Pourtant, je pense qu’il y a eu des chocs immenses. Moi, je suis née en 58. Par rapport à l’éducation que j’avais eue, la liberté qui tout à coup arrrivait à mon adolescence, c’était énorme ce que ça brassait. Et c’était pas toujours facile à vivre: prendre cette liberté pour qu’elle devienne un processus actif. Pour quelqu’un qui a été éduqué selon les critères des années 40 et 50, et qui se retrouve dans le grand boom des années 60 et 70, le choc des idées est horrible. Et c’est ça qui m’intéressait. On a beau avoir une idéologie, peut-on la vivre vraiment? Moi, j’ai l’impression que ça n’a pas toujours été possible.»
Le premier spectacle abandonnait Élyse au moment où elle faisait le passage de la figuration à l’abstraction. Dans ce second show, la peintre doit traverser deux épreuves: elle souffre d’achromatopsie (une maladie qui rend aveugle aux couleurs), ce qui la contraint à délaisser le pinceau pour la performance et le traitement des images. Et son mari, un poète engagé, se suicide. Une mort qui fait écho aux nombreux suicides de grands artistes qui ont assombri cette époque de profonds bouleversements.
«Pour moi, le personnage de Raymond est justement un exemple de ce choc des idéologies. Un article paru récemment citait Mousseau: " Refus global est une utopie. Et si on essaie de la vivre, on se suicide." Pour moi, ces années 60-80, c’est un peu ça. Il y a une pensée utopique et si on essaie de la vivre sans contradictions, by the book, on est fait. Il est impossible de se transformer aussi vite que tout ce qui bouge autour. Dans toute révolution, il y a des sacrifiés.»
N’empêche que Diane Dubeau reprendrait bien «une autre bonne petite révolution». «On est dans un monde où on ne pense plus, j’ai l’impression. Les choses sont faites parce que c’est comme ça. Les pouvoirs de la performance, de l’argent, du confort sont devenus beaucoup plus grands que les pouvoirs de la pensée. Et de la subtilité de la pensée.»
Et pendant qu’on y est, pourquoi pas une révolution dans le monde théâtral… «Le théâtre est toujours pris avec sa tradition, son histoire. Je trouve qu’il est à l’arrière-garde des arts en général, que sa tradition l’emporte sur la nouveauté, et qu’il y aurait beaucoup d’autres choses à explorer théâtralement, d’autres formes. Et c’est une chose très peu faite, très peu reconnue. Moi, je serais en faveur d’une année complète où tous les théâtres, au Québec, n’auraient le droit de monter que de la création. Mais création, ça veut dire se poser déjà la question: c’est quoi, la création? Est-ce que parce qu’on monte un Molière avec une lecture X, c’est de la création? Pour moi, non.»
«La création devrait s’appliquer aussi à la forme. Je trouve ça incroyable: on monte un nouveau texte et, en répétition, on fait exactement le même fichu processus. Genre: on répète six semaines, tant d’heures, et pour commencer, on fait une semaine de travail de table… Ça me fait hurler! Parce que la création passe par tout ça à déconstruire, à essayer autrement; et non pas simplement par un nouvel auteur. Ce n’est pas seulement ce qu’on raconte, mais comment on le raconte, avec les moyens différents du théâtre, qu’il faudrait constamment questionner.»
Pour Diane Dubeau, en tout cas, il n’y a pas de demi-mesures. «J’ai l’impressi0n que la création, c’est une manière de vivre. Ça va ensemble, complètement.»
Du 8 au 26 septembre
A l’Espace Libre
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