Louise Marleau (Le Libertin) : Le jardin des délices
Scène

Louise Marleau (Le Libertin) : Le jardin des délices

En incarnant le personnage d’une femme sensuelle et trouble dans la pièce Le Libertin, LOUISE MARLEAU renoue avec un aspect un peu cabotin du théâtre qu’elle a moins visité ces dernières années. Une occasion privilégiée d’apprécier la présence, le charme et la douce folie de cette grande comédienne.

Je voulais la rencontrer. J’y tenais mordicus. Pourquoi? Parce qu’elle m’a toujours fascinée cette femme. La beauté, lorsqu’elle s’avère si foudroyante, prend des proportions qui dépassent les simples canons établis. Une espèce de transcendance. Alors on veut s’y frotter, car elle attire comme la lumière. Papillon hypnotisé, je voulais la rencontrer. Traverser de l’autre côté de l’image.

Vous vous dites: «Non mais franchement, c’est quoi cette journaliste qui n’est en fait qu’une groupie pâmée?» Détrompez-vous. Je tenais à m’asseoir avec Louise Marleau afin de confirmer ou d’infirmer certaines hypothèses que j’élaborais sur elle. Je pressentais une certaine folie propre aux êtres de passion derrière ses yeux magnifiques. J’ai tout simplement voulu établir le contact révélateur des regards. Rien de plus professionnel, non? Enfin…

L’occasion se présente. Louise Marleau vient jouer à Québec le succès de l’été dernier à Montréal, Le Libertin, d’Éric-Emmanuel Schmitt. Dans la pièce, mise en scène par Denise Filiatrault, elle tient le rôle de Mme Dorothea Therbouche, portraitiste mystérieuse et sensuelle qui vient déranger la vie de Denis Diderot. Durant une folle journée pendant laquelle le philosophe doit rédiger l’article sur la «morale» pour l’Encyclopédie, Diderot est troublé par la visite de quatre femmes: ladite portraitiste, son épouse, sa fille et une autre jeune fille plutôt délurée. Après des tête-à-tête pleins de bons mots, de sensualité et d’humour, quelle morale en tirera Diderot? «L’auteur a qualifié sa pièce de vaudeville philosophique, explique Louise Marleau. C’est tout à fait juste. Le texte dit par Robert Lalonde, dans le rôle de Diderot, est presque intégralement tiré du texte de l’Encyclopédie. Éric-Emmanuel Schmitt a réussi à intégrer cette pensée de façon très fluide et naturelle. L’action se déroule évidemment au XVIIIe siècle, mais comme Diderot avait une langue et une pensée en avance sur son époque, on s’y retrouve complètement. Son discours sur les relations homme/femme est tout ce qu’il y a de plus contemporain.»

L’auteur a une feuille de route impressionnante: docteur en philosophie depuis 1987, puis maître de conférences à l’université de Chambéry, il écrit sa première pièce en 1991. En plus de connaître un franc succès en France, la pièce est jouée au Milwaukee Repertory Theater (États-Unis) en 1995, et à la Royal Shakespeare Company, Stratford upon Avon en 1996. Puis suit la création du Visiteur en 1993. Saluée par trois prix Molière, cette pièce a décidé de la carrière d’Éric-Emmanuel Schmitt. En 1994, il publie son premier roman La Secte des égoïstes, qui obtient le Prix du Premier Roman. En 1997, il publie Diderot ou la philosophie de la séduction. Puis viennent consécutivement deux pièces à succès: Variations énigmatiques, qui marque le retour sur les planches d’Alain Delon, donnée à guichets fermés pendant plus de trois mois à Paris, ainsi que Le Libertin. La pièce a été produite cet été à Montréal avant d’être jouée en Finlande, en Italie et en Roumanie.

Jeu de dame
Mais permettez-moi de revenir à mon sujet de prédilection. Louise Marleau connaît une des plus belles et des plus riches carrières de comédienne. Récipiendaire de quatre prix d’interprétation féminine pour ses rôles dans L’Arrache-Cour de Mireille Dansereau, La Femme de l’hôtel et Anne Trister de Léa Pool, de même que Mademoiselle Julie de August Strindberg, elle a interprété les plus grands rôles du répertoire international, tantôt en français, tantôt en anglais. Au théâtre, on a pu la voir dans une trentaine de pièces dont Roméo et Juliette (Stratford), L’École des femmes (Old Vic Theater à Londres) et, évidemment, bon nombre de productions à Montréal. A-t-elle pensé à aller voir ailleurs si elle y était? «J’ai eu beaucoup d’occasions de partir. Suite à mon passage à Stratford, un agent américain a offert de me "lancer" à New York. Il m’a installée dans un chic hôtel et a donné des fêtes pour me faire connaître. Il faut croire que je n’étais pas très carriériste car au bout de quelques mois à me faire parader, j’ai trouvé le tout très ennuyeux et j’ai préféré revenir jouer un rôle intéressant ici, confie Mme Marleau. J’ai tourné des séries à Paris et on m’a cherchée ensuite sans me trouver. Je n’ai pas toujours donné suite!»

Lorsque je lui demande si son potentiel n’a pas été sous-exploité compte tenu de son apparence, elle s’étonne un peu. «Je suis toujours surprise de cette impression qu’ont les gens face à moi. Il est certain qu’on naît avec le physique que l’on a et que ça détermine sûrement une partie de ce qu’on dégage. Mais j’ai l’impression d’avoir cassé cette image il y a vingt ans lorsque j’ai voulu jouer Soudain l’été dernier, de Tennessee Williams. Juste dans les derniers mois, exception faite du Libertin, j’ai tenu des rôles qui n’ont rien à voir avec la femme sensuelle et belle qui maîtrise son destin.» On pourra d’ailleurs le constater de visu dans le théâtre musical inspiré de La Strada de Fellini, qu’elle a monté avec Claude Dubois, où on la retrouvera dans le rôle d’une jeune femme aux cheveux punks et aux bas déchirés… A suivre, en novembre.

J’insiste tout de même, au risque de me faire rabattre le caquet. «C’est vrai qu’il y a chez moi une folie que les gens ne semblent pas soupçonner, avoue Louise Marleau. Denise Filiatrault, avec qui j’ai adoré travailler, a été très surprise de découvrir cet aspect de moi. Les idées que j’amenais, ma collaboration et, oui, ma folie l’ont étonnée.» A lui parler, on a l’impression que si on lui proposait un projet expérimental complètement «flyé» mais artistiquement intéressant, elle sauterait tête première dedans. Cette femme aime se mettre en péril, ça se devine aisément. Mais d’abord et avant tout, on sent chez Louise Marleau un grand amour pour l’art et pour les artistes. Elle navigue avec bonheur entre le théâtre, le cinéma et la télévision. Lorsqu’on s’est parlé, elle devait quitter pour aller visionner plusieurs films du FFM, travail sur le jury oblige. Le plaisir et la passion sont là, vibrants. Authentiques.

Merci madame Marleau, bon visionnement. A la prochaine, peut-être. Je raccroche le téléphone. Non, je ne l’ai pas rencontrée. Un problème de communication. L’histoire d’un rendez-vous manqué qu’il serait trop long de raconter ici. Je suis restée sur ma faim. Malgré toute sa générosité vu l’heure matinale où l’entrevue a finalement eu lieu, il me manque encore quelques clés pour saisir le personnage. L’éclat du regard, le mouvement des mains, tous ces détails qui parlent tant. Mais bon, je me console en me disant que ce n’est que partie remise…