Jack Robitaille : Scène transition
Scène

Jack Robitaille : Scène transition

«Je suis d’abord et avant tout un acteur», affirme d’emblée Jack Robitaille. Et quel acteur! On a tous en mémoire un personnage qu’il a marqué de son sceau, une réplique où il nous a fait hurler de rire, un passage où il a su nous transporter d’émotion. Toutes les scènes de Québec – et plusieurs à travers la province – ont vu son talent s’épanouir et mûrir. «Je n’ai jamais interprété les jeunes premiers. Même au début de ma carrière, je n’avais pas le physique de l’emploi, confie-t-il. Somme toute, je joue présentement les mêmes types de rôles que l’on me confiait à l’époque! Sauf que ce ne sont plus des compositions. Je savoure plus que jamais le plaisir de jouer rendu à ce point de ma vie.» Et il est manifeste ce plaisir, cet amour inconditionnel des planches qui fait vibrer Jack Robitaille. Avec l’oil allumé et le sourire un peu taquin du gamin pris la main dans la jarre à biscuits, il parle du théâtre avec une passion et une fougue hautement contagieuses. «Il faut m’arrêter si je parle trop longtemps!», lance-t-il en riant. Surtout pas! En présence de cet artiste, le temps ne compte plus et on se laisse agréablement bercer par des histoires si bien racontées qu’on en oublie parcomètre et autres obligations…

Pas étonnant donc que Jack Robitaille soit si présent et si important dans le milieu culturel de la cité. Pas surprenant non plus que l’enseignement ait fait partie intégrante de sa carrière. Que ce soit à Québec, à Chicoutimi ou ailleurs, Jack Robitaille a «joué» le professeur, au grand plaisir de ceux qui ont eu la chance d’étudier sous sa gouverne passionnante et magnanime. «L’enseignement m’a entre autres permis d’emmagasiner tout un répertoire d’auteurs et d’époques qui m’a grandement servi alors que je m’apprêtais à bâtir ma première saison comme directeur artistique de La Bordée», explique-t-il. Cumulant ce poste de direction «à temps partiel, budget oblige» et ses aspirations de comédien, Jack Robitaille navigue avec mæstria dans ces eaux qui ne sont pas toujours de tout repos. Plusieurs rôles importants l’attendent cette saison et il n’était pas question pour lui de passer à côté. Mais le défi de La Bordée le tentait, d’autant plus qu’il a été un des partenaires majeurs de sa restructuration et de sa reconstruction. «Lorsque j’ai passé l’entrevue pour obtenir le poste de directeur artistique, j’ai expliqué au conseil d’administration que la mission du Théâtre de la Bordée – qui en est une de théâtre populaire – m’emballe, me plaît, me stimule. Elle n’est pas quant à moi restrictive. C’est certain qu’il y a un type de théâtre qu’on ne peut pas présenter. Mais ce qu’on peut faire demeure très vaste. Le théâtre populaire, pour moi, c’est d’abord et avant tout un théâtre qui repose sur des récits dramatiques forts. Lorsque les histoires sont fortes et bien développées, quand les situations sont solides, il n’y a plus de limites. En fait, ça exclut tout le théâtre dit de style, où la forme l’emporte sur le fond. Très franchement, ça ne me dérange pas du tout de ne pas pouvoir en présenter!», poursuit Jack Robitaille en précisant que jamais il ne produira une pièce qu’il n’aime pas. «Tous les textes qui seront produits sous ma direction à La Bordée sont et seront des textes que j’aime, pas de compromis là-dessus. Cela dit, ça implique que je doive faire preuve d’imagination. Il y a des auteurs qui sont identifiés populaires. Je ne les nommerai pas, mais c’est un théâtre que je ne veux pas monter. Donc il faut chercher ailleurs. Beaucoup chercher. Et redécouvrir certains auteurs. Ne parlons même pas des multiples contraintes, budgétaires et autres, inhérentes à la question!» Devant toute la somme de travail que nécessite la création d’une saison, il a eu l’idée de former un comité de lecture qui aurait pour mandat de lui faire des propositions de textes. «Cette structure a eu pour effet de dynamiser et de mobiliser les éléments artistiques de la compagnie.» Le résultat de ce brassage d’idées: une saison que Jack Robitaille voit sous le signe du plaisir, de l’intelligence et de la passion. Un parfait reflet de celui qui l’a cogitée avec amour et soucis des exigences et des rêves de son public.

Les saisons du cour
Nous aurons l’occasion de revenir plus amplement sur chacune des productions, mais survolons tout de même brièvement cette saison 1998-99, avant d’entrer dans le cour écorché d’Hosanna, qui donnera le coup d’envoi à compter du 29 septembre prochain.

Novembre verra la scène de La Bordée emplie de la joyeuseté des Comédies françaises. Mises en scène par Lorraine Côté, deux courtes pièces d’Eugène Labiche agrémentées de chants et de musique afin de créer un univers coloré et totalement original. «La folie de notre saison!» En février, Les Frères Karamazov de Dostoïevski s’emparent des lieux sous la direction de Reynald Robinson. La jeunesse, son mal de vivre et ses angoisses, portée par un texte d’une qualité et d’une pertinence extraordinaires. «Je suis arrivé à la direction avec la ferme intention de monter cette pièce. C’était incontournable. La tourmente de notre saison!» Pour clore le tout, Quand Marie est partie, d’Israël Horovitz, auteur américain fréquemment monté en Europe. Une pièce qui met en scène un triangle amoureux peu banal puisque se produisant chez des gens d’un certain âge. Lise Castonguay met en scène ce qui se veut «le coup de foudre de notre saison».

Mais d’abord, place à un des plus grands personnages de notre dramaturgie: Hosanna. Monté pour la première fois en 1973 au Théâtre de Quat’Sous, ce texte sera le premier Tremblay à être monté à La Bordée. Étonnant, non? Et la rencontre aurait pu ne jamais se produire si Jacques Leblanc n’avait pas accepté d’endosser le personnage de cette reine des travestis de la Main. «J’ai lu le texte et c’est devenu incontournable: il faut que Jacques joue ça, poursuit Jack Robitaille. Habituellement, lorsqu’on monte une production, on a une façon de faire. On choisit la pièce, puis on engage un metteur en scène qui lui établit sa distribution.

J’ai brisé cette façon de faire en engageant d’abord Jacques Leblanc et j’ai construit ce projet-là autour de lui. Sans vouloir lui mettre de pression, je lui ai dit: "Si tu le joues, on le monte, si tu ne le joues pas, on ne le monte pas." Jacques est un grand acteur et c’est ce que ça prenait pour porter ce rôle immense. Et je suis très fier que cette rencontre entre ce grand acteur et ce grand personnage ait lieu chez nous, à La Bordée.» Quel comédien pourrait refuser un tel hommage et une telle confiance? Marco Poulin, dans le rôle de Cuirette, donnera la réplique à Hosanna dans cette mise en scène signée par Patric’ Saucier.

Hosanna revient d’un party costumé où elle devait en principe triompher. Elle blague, mais on sent que quelque chose s’est passé. Un univers s’écroule pour faire place à un ordre nouveau, mais Hosanna et Cuirette ne le savent pas encore. Un texte sur l’amour et la rage de vivre, «la pièce coup de poing de notre saison»…