Le Miroir aux tartuffes : Et vogue la galère
Scène

Le Miroir aux tartuffes : Et vogue la galère

Pourquoi produire cette pièce maintenant? C’est la question qu’on se pose en sortant du Miroir aux tartuffes, le spectacle qui ouvre péniblement la saison de la Compagnie Jean-Duceppe. Pourquoi remonter à l’époque de la Nouvelle-France, évoquer la censure du clergé ou l’affaire Tartuffe pour prouver l’importance du théâtre dans la société actuelle? Au lieu de donner un cours sur l’histoire du théâtre au Québec de 1606 à 1809, le Théâtre Jean-Duceppe aurait mieux fait de choisir une bonne pièce. Tout simplement. Cela demeure le meilleur moyen de sensibiliser le public au théâtre.

Jean-Claude Germain est un bon conteur. Il aurait intérêt à s’en tenir à ses conférences. Pour peu qu’il s’adresse à un public averti – j’allais écrire consentant -, il peut intéresser un auditoire. Comme auteur, c’est moins évident. Alons voir…

Germain propose ici une pièce historique, dans laquelle il joue et dirige onze interprètes, qui tient davantage du projet casse-cou que d’un choix artistique. Dans le programme du Miroir aux tartuffes, sous-titrée Un charivari québécois, Michel Dumont, le directeur artistique, explique ses motivations à monter la création de Jean-Claude Germain. Dumont cite un texte de monseigneur Bouvier, datant de 1842 (sic!), qui en appelle à «l’excommunication contre les acteurs et les actrices». «Non, l’obscurantisme et l’étroitesse d’esprit ne sont pas morts au siècle des Lumières! dit en résumé Dumont. Sinon pourquoi s’en prendrait-on au théâtre avec une telle hargne.» S’il faut retourner 156 ans en arrière pour justifier la création d’un texte, c’est, peut-être, parce que la pièce est anachronique…

Comme proposition coupée de la réalité québécoise d’aujourd’hui, Dumont ne pouvait pas mieux choisir. En comparaison, l’ouvre d’Antonine Maillet apparaît hyper-branchée; le théâtre de Marie Laberge, jeune et hip hop !

Comprenez bien: l’importance de l’histoire pour une collectivité est capitale. Mais pour bien mettre à jour le passé, il faut un éclairage, une vision. La pièce de Germain, longue et alambiquée, n’a aucun centre d’intérêt. Et le point de vue de l’auteur est résolument passéiste. Entre les affres de la religion et le sempiternel rappel de la Conquête – que Germain préfère appeler «la défaite» -, une troupe de comédiens incarnent quelques pages de notre histoire théâtrale: la première représentation scénique, à Port-Royal, par Marc Lescarbot; l’interdiction de monseigneur de Saint-Vallier à Frontenac de produire Tartuffe, en 1694; la création de Colas et Colinette de Joseph Quesnel à Montréal en 1790.

Nous avons droit à une série de saynètes et de farces dans lesquelles les comédiens s’adonnent à l’art du cabotinage. Car, malgré une affiche impressionnante, ça ne lève pas. Hélène Mercier, Sylvie Legault, Sylvie Gosselin et Dominique Lamy récitent leur texte plus souvent qu’autrement; Denis Bouchard cabotine comme à l’habitude – ce comédien semble incapable de faire la différence entre l’imitation et le jeu, la caricature et la vérité. Jacques L’Heureux, Normand Lévesque et Pierre Curzi s’en tirent mieux. Deux interprètes-musiciens accompagnent les acteurs sur scène. Et vogue la galère… Entre les scènes, Jean-Claude Germain apparaît, ici et là, dans l’immense décor d’André Barbe (un navire à deux mâts), ridiculement affublé d’une cape à la Prospero, pour raconter l’action du Miroir. Son texte est truffé de rimes, d’humour facile et d’images lourdes.

Qui plus est, le metteur en scène a multiplié les mises en abyme et brisé les conventions – bonjour! la distanciation des créations des années 70 – pour nous rappeler que nous sommes au théâtre: les comédiens s’interpellent par leur vrai nom et discutent de problèmes relatifs à la production, avant de revenir à leur scène. Un procédé qui complique davantage une pièce ayant déjà une surdose d’information.

Quelle est la thèse du professeur Germain? Le théâtre est le miroir de la société. Une société sans théâtre n’a donc pas d’âme. Le théâtre québécois a seulement 50 ans – il vit officiellement le jour avec Tit-Coq, en 1948 -, sa mémoire est très courte pour un peuple qui a pourtant comme devise: «Je me souviens.» Germain a donc voulu raconter son histoire. Malheureusement, le reflet de son Miroir ne donne aucunement le goût de se regarder dans la glace.

A force de regarder en arrière, on oublie parfois d’avancer.

Jusqu’au 17 octobre
Au Théâtre Jean-Duceppe
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