Quelques humains : L'air du temps
Scène

Quelques humains : L’air du temps

On pourrait dire que Quelques humains s’ouvre sur les prémisses mêmes de l’époque inquiète que parodie la pièce: la mise à mort – littéralement – de la société traditionnelle. Réunie pour le pique-nique dominical, une famille archétypale de 1958, et consciente de l’être – père paternaliste, mère souriante jusqu’à la bêtise, enfants sages -, reçoit la visite imprévue d’un certain Odipe, venu les prévenir que «la famille nucléaire n’a aucun avenir»…

Cette révélation fait boule de neige, précipitant la déchéance du clan familial par la mise au jour de ses secrets honteux. S’ensuit alors un véritable jeu de massacre qui annonce les décennies subséquentes, et forme un point de départ original et réjouissant pour le spectacle présenté à La Licorne.

Tout au long de la pièce de Pierre-Michel Tremblay, un portrait désopilant et inégalement inspiré de notre époque, seront ainsi mis à mal les systèmes de croyance soigneusement échafaudés par nos semblables pour donner une direction à leur vie. La famille; l’amour qui ne dure pas; la quête spirituelle, qui dérive jusqu’au délire; l’argent qui corrompt quand on en a trop, et fait damner quand on en manque; jusqu’à la mort…

Nouveau, tout ça? Certes, non. L’auteur et scripteur humoristique Pierre-Michel Tremblay relaie les discours en vogue, le malaise, l’incertitude qui colorent notre temps. Mais le tout est revu avec l’oil cynique et le sens aigu de la dérision qui sont le propre de cette génération, voire de cette époque. Jouissif, donc. Un univers au carrefour de la caricature, de la parodie, de l’absurde et de l’angoisse.

La création autogérée des Éternels Pigistes est divisée en dix tableaux: cinq sketchs substantiels et autant de courts solos, où chaque personnage, un rien désaxé, y va d’un discours paranoïaque – une maladie bien fin de siècle. Qui provient sans doute, comme le dit l’auteur, de «ce besoin viscéral que nous avons d’expliquer le monde».

Nos frères humains apparaissent ici comme d’étranges créatures, prisonnières de leurs schémas de pensée, souvent désemparées, et fondamentalement seules. Toute une faune croquée savoureusement par des comédiens qui s’en donnent à cour joie. Aussi impayable en paternel débonnaire de style Papa a raison, en illuminé spirituel et en intellectuel frustré qu’en parvenu vulgaire, qui aime étaler ses investissements dans la culture contemporaine (le clou du spectacle), Patrice Coquereau étonne particulièrement par l’étendue de son registre. Mais Pier Paquette, Isabelle Vincent, Marie Charlebois et Christian Bégin ont chacun leurs temps forts.

Si les textes sont d’intérêt inégal (ainsi, le dernier tableau, qui penche vers la gravité, tombe plutôt à plat), la direction de Marie Charlebois, à sa première tentative, témoigne d’un sens assez sûr de la mise en scène. Soutenue par une bonne trame sonore, elle est parvenue à lier formellement le spectacle pour en faire davantage qu’une succession de sketchs, et à jouer sur le registre, plus profond, de l’angoisse existentielle. Dans l’ensemble, donc, une belle surprise.

Jusqu’au 3 octobre
A La Licorne
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