Black Skirt : Perdus dans l’espace
Après onze ans de succès d’estime auprès d’un auditoire anglophone plutôt restreint, c’est gonflée à bloc que la troupe de Montreal Serai investit le Théâtre La Chapelle, jusqu’au 27 septembre, pour tenter de conquérir de nouveaux alliés francophones.
Avec Black Skirt, une pièce bilingue écrite et mise en scène par Rana Bose, la compagnie qui loge à l’enseigne du multidisciplinaire et du théâtre interculturel marie pour la première fois les langues des deux solitudes dans une création particulièrement débridée.
D’entrée de jeu, le spectateur est saisi par l’ouverture de cette fable éclatée qui fait l’apologie des crises qui secouent chaque génération et provoquent le changement. Dans une lumière d’outre-tombe, une sorte de shaman apparaît et déclenche une tourmente infernale en martelant un tambour métallique. Une vision-choc qui s’inscrit dans un décor urbain surréel, ingénieusement évoqué par une structure à plusieurs paliers et un arrière-plan en trompe-l’oil.
Cette forte impression sera de courte durée. Au-delà d’un tourbillon scénique où la danse, la vidéo, la musique techno et les reparties cinglantes se percutent, Black Skirt apparaît rapidement comme un essai multimédia maladroit, dont les plus grandes faiblesses se situent au niveau du texte et du jeu.
Ainsi, dans l’allégorie de Rana Bose, c’est une mystérieuse danseuse à la robe noire (Allyn Embree) qui incarne le principe du changement. Apparaissant à tous les quarts de siècle, la créature se frotte alors aux humbles mortels pour les inviter à la remise en question.
Sur scène, malheureusement, cette force supposément indomptée manque singulièrement de mystère et de magie, son interprète nous servant une danse lourdaude et faussement acrobatique ressemblant à une mauvaise imitation d’envolées à la Margie Gillis. Ses appels à l’action, quant à eux, se limitent à quelques bribes simplistes et inachevées, les thèmes du changement et de la révolution n’étant jamais développés.
Le cabotinage de ce texte faussement pamphlétaire atteint son comble lorsque Howard Stern, Lise Bissonnette, Bill Johnson et les Anglos de Dorval sont écorchés d’un même trait par un autre personnage. Sa critique de notre univers médiatico-politique n’exprime aucune vision cohérente au-delà de la fanfaronnade.
Les sept interprètes qui incarnent une faune contemporaine caricaturale à l’extrême – on se shoote dans la cuisse dans le café branché de Black Skirt – privilégient un jeu très appuyé et défendent laborieusement le bilinguisme du texte. A ce chapitre, le français est intégré de façon anecdotique et alambiquée à l’intérieur même des répliques anglaises. Le résultat égratigne inévitablement l’oreille.
Un bilan peu convaincant, donc, pour cette première proposition que Montreal Serai vient soumettre au public francophone. Et lorsque, vers la fin de la pièce, une projection vidéo sur un drap froissé nous convie au retour de la mystérieuse femme en noir, prévu pour 2023, on a plutôt envie de décliner l’invitation…
Jusqu’au 27 septembre
Au Théâtre La Chapelle