Nocturne : Un zoo la nuit
Scène

Nocturne : Un zoo la nuit

On peut tout faire au théâtre. Ou presque… Il y a une règle tacite et difficilement transgressable: un auteur ne doit jamais juger ses personnages. Qu’importe leur cruauté, l’auteur évitera de mépriser les personnages qu’il a d’ailleurs lui-même inventés. C’est au public de juger des actions – bonnes ou mauvaises – des protagonistes. Après en avoir compris les motivations.
Stanley Kowalski, la pire brute du théâtre contemporain, n’est pas mis au pilori par Tennessee Williams. Dans le contexte d’Un Tramway nommé Désir, menacé dans son petit confort, on peut comprendre pourquoi Stanley agit aussi ignoblement envers Blanche Dubois. Sous sa façace de grosse brute macho, le personnage demeure humain. Trop humain.

Avec sa dernière création, Nocturne, à l’affiche du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 10 octobre, Pan Bouyoucas enlève toute trace d’humanité à ses protagonistes: un couple de petits bourgeois dans la quarantaine, sans enfants, et désespérément à la recherche de «passion». La mise en scène peu inspirée de Serge Denoncourt, ainsi que l’inégal jeu des acteurs – Han Masson est irritante – font de la deuxième production d’une pièce de l’auteur d’origine grecque, après Le Cerf-volant, en 1993, un rendez-vous manqué.

Pan Bouyoucas a signé une comédie noire qui se veut «une métaphore brutale» des baby-boomers, et de «leur indifférence criminelle envers ceux à qui la vie n’a pas fait de cadeaux». En entrevue, avant la première de sa pièce, l’auteur décrivait ainsi les deux protagonistes de Nocturne: «Ce sont des adultes égoïstes qui vivent dans une bulle sans penser aux autres, principalement à la jeune génération.» Sa pièce est une lourde et amère démonstration de ce constat social. D’entrée de jeu, l’auteur juge, méprise et condamne ses personnages. Au bout de cinq minutes, le public a tout compris: il va alors assister, pendant près de deux heures, à l’éternelle répétition des prémisses moralisatrices de l’auteur.

Nocturne débute avec le couple maudit (Masson et Igor Ovadis) qui, un soir de canicule montréalaise, se réfugie dans un parc désert. Lui, un écrivain néo-québécois, a quitté son pays dans les années 70 pour fuir la dictature. Elle, une femme de carrière bon chic bon genre, résolument urbaine, semble sûre d’elle-même. Assis sur des balançoires dans un terrain de jeu, les amants désabusés se confient leurs souffrances existentielles, leurs désillusions, leur lassitude. «Comment fait-on pour vivre sans passion», lance la femme à son mari avant de lui raconter un rêve. Elle a rêvé qu’elle voyait le passage de la vie à la mort. Cette minute où l’on quitte son corps pour s’élever au-dessus des choses tout en restant en vie. Elle aimerait ressentir pour de vrai ce passage vers la mort. Avoir la sensation de la mort sans perdre la vie.

Dont acte. Sans crier gare, la bourgeoise enlève ses escarpins et sort une corde de son sac. «Si tu me pendais au bout de la balançoire», dit-elle. «Tu es folle», répond-il. Surgit un adolescent délinquant et solitaire (Christian Brisson Dargis, un jeune comédien prometteur qui se débrouille très bien dans les circonstances). Le jeu du couple prend alors une autre tournure. Et il deviendra un rituel macabre et sordide.

Voilà pour l’histoire. Hélas, Nocturne démontre davantage le cynisme de Pan Bouyoucas que celui des baby-boomers. Son texte est beaucoup trop bavard et bâtard. Il gravite entre l’humour et le psychologisme, entre la parodie et le drame, entre le réalisme et le grotesque. Dans le finale très violent, le couple quitte enfin le parc en se disant qu’il pourrait toujours dénoncer les drames et les injustices sociales «en donnant des conférences ou en écrivant des pièces de théâtre»!!!

En plus de juger ses personnages, voilà que l’auteur termine en doutant de la pertinence de son art… Mais que veut prouver Pan Bouyoucas? Personne ne l’oblige à écrire des textes pour qu’il soit produit dans des théâtres subventionnés. Même les prêtres refusent de prêcher dans le désert.

Jusqu’au 10 octobre
Au Théâtre d’Aujourd’hui