Une visite inopportune : La cruauté comique
Les trentes premières secondes d’une Visite inopportune, de Copi, sont implacables. Sous la direction d’André Brassard, c*ette production de l’Espace Go s’ouvre à la puissance dix. Quatre comédiens appairaissent à l’arrière-scène dans une lumière froide et blanche. Ils transportent un homme malade, sur son lit d’hôpital. Le patient est jeune et pourtant déjà vieux. Le visage livide, en sueur, il se débat en des spasmes épouvantables. Il lutte contre la maladie qui le ronge. Il affronte, comme il peut, la plus angoissante des situations humaines: celle d’un homme qui voit venir la mort.
Dès la scène suivante, la souffrance de Cyrille (Roger La Rue) a soudainement disparu. Il est assis sur son lit, portant des bas résille et du vernis à ongles. Ironique, Cyrille parle de «son sida» comme d’un nouveau bijou. Une infirmière vient le voir et commente sa nouvelle teinture. Un ami, Hubert (Gérard Poirier), arrive avec des victuailles de chez Fauchon et du vin blanc frais. Entre deux verres, le patient fume un peu d’opium dans le narguilé sculpté que «Cocteau lui a offert en cadeau». Puis, il change de vêtements pour recevoir ses invités, dont un jeune et beau journaliste (Érik Duhamel), qu’il tente de séduire. Bref, le drame annoncé s’est transformé en un cocktail mondain. La tragédie, en boulevard!
Dessinateur, acteur, écrivain et humoriste, Copi était aussi un personnage excentrique du Gai-Paris des années 70-80. A l’image de Cyrille dans Une visite inopportune, Copi a toujours joué sa vie. Il est donc normal que l’artiste ait aussi voulu jouer sa mort. Il a écrit sa dernière pièce sur son lit d’hôpital, juste avant son décès, en 1987, à Paris. Il a donc signé un boulevard sur le sida, avec de nombreuses entrées et sorties de scène, un rythme endiablé, des ruptures de ton, des dialogues frivoles, et des histoires d’alcôves.
Dans la rigoureuse production à l’affiche de l’Espace Go (des superbes maquillages d’Angelo Barsetti aux surprenants costumes de Barbeau, le travail de conception est irréprochable), André Brassard a écarté toute idée de naturalisme en transposant l’action dans une arène de cirque. Soulignant ici encore plus la dérision du texte, et la volonté de Copi de travestir le drame pour défier la mort.
Les acteurs sont dans remarquables. Roger Larue est bouleversant en frivole et désespéré Cyrille. Gérard Poirier prouve encore son grand professionnalisme. Il incarne avec brio le dévoué Hubert, un dandy décadent sous sa façade de bon goût. France Castel est parfaite dans le rôle de la diva qui va se faire lobotomiser! Paul Savoie, le médecin, s’en donne à cour joie dans un contre-emploi burlesque. Dominique Quesnel est toujours aussi solide dans le registre absurde et comique. Érik Duhamel reste discret et effacé comme l’exige son rôle.
D’ailleurs, ce journaliste qui ne pose jamais de questions est ici tout à fait inutile. Et il met en évidence les carences du texte. Le metteur en scène Jorge Lavelli qualifiait Copi d’écrivain «qui dessine avec les mots». Il le comparait «aux grands burlesques de l’ancien temps qui ne définissaient jamais leurs frontières». Que Copi aborde la gravité par la légèreté, cela va de soi. Mais sa pièce comporte un problème de structure, que cette excellente production n’arrive pas à pallier. La pièce a des longueurs; mais, surtout, elle n’arrive pas à soutenir son propre rythme. Une visite inopportune commence en lion, puis devient bien sage, avant de remonter dans la farce et le drame. Copi – avec raison dans les circonstances – s’est éparpillé en cours d’écriture.
Est-ce pour cela, par exemple, que l’auteur, à la dernière scène, tente d’expliquer le personnage du journaliste? Sans vraiment nous convaincre. En conclusion, avec Une visite inopportune, Copi est davantage un humoriste qu’un dramaturge. Dans le meilleur sens du terme. Or, malgré ces réserves, cette production vaut le détour. Ne serait-ce que pour se rappeler que rien n’est plus tragique que le comique.
Jusqu’au 17 octobre
A l’Espace Go