Patrice Coquereau : La règle du jeu
On peut présentement le voir casser la baraque dans Quelques humains, à La Licorne, où il incarne plusieurs rôles, tous plus cocasses les uns que les autres. Patrice Coquereau est ce qu’on appelle un acteur de composition. «J’aime observer les gens, explique-t-il. Le corps parle beaucoup, tout parle. C’est comme des univers. Ça me fascine, parce que les gens traînent toute une mémoire avec eux.» Le débit des conversations, le regard des passants, leurs rapports entre eux, leur énergie: Patrice Coquereau se nourrit de toutes ces images pour composer un personnage.
Dès le 13 octobre, il changera totalement d’univers, sans pourtant quitter la scène de La Licorne. Le comédien jouera un reporter «opportuno-idéaliste» dans Tout bas… si bas, une fable satirique de Koulsy Lamko, qu’on dit être la première incursion montréalaise dans la dramaturgie d’Afrique francophone. Mis en scène par Martin Faucher, le texte, très dense, de l’auteur d’origine tchadienne raconte comment un mensonge fait boule de neige dans un quartier miséreux, jusqu’à attirer les grands de ce monde, accourus pour en profiter: histoire de convaincre son père de descendre de l’arbre où il s’est juché afin d’échapper au monde, une fillette lui annonce que sa grand-mère, septuagénaire, vient de donner naissance à un enfant. Un bébé auquel le journaliste ne tarde pas à prêter des pouvoirs fantastiques. Devant la tournure des événements, le reporter décide de «porter son rêve jusqu’au bout», dans l’espoir de faire bouger les choses…
«Il y a beaucoup d’ironie face au pouvoir. La pièce dit qu’il faut sortir de l’à-plat-ventrisme, arrêter de ramper. Il faut prendre la parole, porter son rêve à soi, et cesser de se fier à toutes formes d’autorité. C’est très politique, dans la mesure où ça dénonce la corruption, mais on n’a pas à souligner ce côté revendicateur, qui est déjà dans le texte. La facture étant très poétique, fabuleuse, c’est plutôt l’aspect merveilleux qu’il faut mettre en évidence. Captiver les gens, les emmener dans cet univers-là.»
D’autre part, les projets ne manquent pas pour Patrice Coquereau et sa gang des Éternels pigistes: des producteurs se montrent alléchés par Quelques humains; et la troupe est à développer, avec Télé-Québec et Pixcom, un projet de sitcom un peu spécial, pour septembre 99. Le comédien dit redécouvrir, grâce à ces nombreux encouragements, toute la générosité du milieu et «le plaisir de faire ce métier-là».
Même s’il a toujours travaillé (pour Denise Filiatrault, notamment), Patrice Coquereau a connu un passage à vide, voilà plusieurs années. «Il y a eu un moment où je voulais tout laisser tomber. Je voulais aller en Italie, en psychologie (rire); je ne savais plus pourquoi je faisais ce métier-là. J’étais complètement perdu. Je cherchais, à travers les personnages, qui j’étais, ce que je voulais dire. Je suis du genre à me poser beaucoup de questions. Les rôles que je joue, les rencontres que je fais: tout est signifiant pour moi. Et à cette époque, j’avais l’impression que ce que je faisais était banal.
«Je me suis permis d’aller à fond dans cette crise, parce que je peux être très complexe (rire). Et là, je me sens bien. C’est plus clair. Les choses prennent leur sens.» Plus détendu, s’amusant davantage, Coquereau s’est recentré sur la création et la complicité de la gang: «l’aspect le plus important du métier, je pense, pour moi. Et j’ai moins peur de faire des choix. Je sais beaucoup plus où est ma place. Je n’irai pas faire telle affaire juste parce que c’est "in". Alors qu’avant, je voulais être partout, que tout le monde m’aime… Il faut être fidèle à la façon dont on sent les choses.»
Pour le comédien, les personnages sont «des aspects de nous-même qu’on joue. Comme des rites de passage, une façon d’exorciser la vie. Le jeu est important, parce qu’on vit dans une société où tout est enjeu. Le pouvoir, la perte, le gain. L’idéal est d’arriver à jouer la vie, à sortir du jugement, finalement. Et c’est très difficile, parce que tout est fait de peurs, d’apparences, de contrôle, de performance. L’expérience humaine, c’est de se décaper de toutes ces couches-là et d’arriver à l’essence de qui on est.»
Du 13 octobre au 7 novembre
A La Licorne