Les anniversaires ont des pouvoirs étonnants. Le Centaur, l’institution théâtrale majeure de la communauté anglo-montréalaise, et la carrière de Michel Tremblay, le dramaturge le plus en vue du Québec, comptent chacun trente années bien sonnées. Pourtant, sous l’égide de l’ancien directeur Maurice Podrey, leurs routes s’étaient rarement croisées. Il aura fallu cette double célébration pour que Montréal accueille enfin la création anglaise d’une pièce de Tremblay – chose qui avait généralement lieu à Toronto. Et, en plus, quelques mois à peine après la mise au monde, au Rideau Vert, d’Encore une fois, si vous le permettez.
Une première qui contient tous les ingrédients d’une éclatante réussite. Conservant les référents culturels de l’original, la brillante traduction de Linda Gaboriau a préservé la couleur de cette pièce tendre et savoureuse, tout en l’ancrant dans la langue de Brad Fraser. Les échanges animés entre le narrateur – représentant le jeune Tremblay – et sa fort imaginative maman prennent parfois des résonances différentes (quand ils parlent de la France, par exemple), mais ils sonnent toujours vrai. Et le courant passe manifestement entre l’Anglo-Québécois Dennis O’Connor et Nicola Cavendish, le premier faisant un complice des plus solides à la seconde.
For the Pleasure of Seeing Her Again se révèle surtout l’occasion de voir, sans doute pour la première fois, cette remarquable actrice canadienne, qui a su s’approprier de façon exceptionnelle un rôle écrit pour la merveilleuse Rita Lafontaine, dont le tempérament d’actrice est bien différent. Nicola Cavendish prête une énergie nerveuse, une précision pointue à cette Nana tranchante et ronde, chicaneuse au rire généreux, imaginative mais pas dupe de ses propres contes. Dans tous ses détours et ses contradictions, ce beau personnage vit avec une force et une réalité hallucinantes.
Toute la mise en scène, sobre et précise, de Gordon McCall (directeur du Centaur depuis un an) s’attache d’ailleurs à donner une assise plus réaliste à la pièce, jouant de quelques accessoires très simples pour lui donner vie. En même temps qu’elle s’incarne, cette ouvre magnifique, d’inspiration si personnelle – puisée dans les souvenirs de l’auteur -, acquiert une résonance très vaste. Comme si l’enfant s’était détaché du giron familial pour aller vivre sa vie dans le monde. On sent la pièce et le personnage appelés à une belle carrière. La délicieuse Nana a pris son envol.
Jusqu’au 25 octobre
Au Centaur
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