Le chorégraphe Sylvain Émard : Au-delà du réel
Avec sa dernière création, Mensonge Variations, à l’affiche de l’Agora de la danse, SYLVAIN ÉMARD décompose sa danse en une infinité de petits gestes. Mouvements perpétuels.
On parle souvent de danse-théâtre, mais peu de danse dite formaliste. Le chorégraphe Sylvain Émard en n’a cure du mélange des genres. Pourtant formé au théâtre et au mime, il investit ses énergies depuis plusieurs années dans la recherche du mouvement sans s’embarrasser de textes ni d’évocations dramatiques. Avec sa dernière création, Mensonge Variations, à l’affiche de l’Agora de la danse, du 28 octobre au 8 novembre, sa danse se décompose en une infinité de petits gestes. Et, surprise, l’émotion jaillit sans que le spectateur ne cherche à lui forcer la main!
«Qu’est-ce que la danse peut dire qui lui soit spécifique et qui ne soit pas simplement de l’ordre d’un théâtre mouvant? s’interroge d’entrée de jeu le chorégraphe. Comment la danse, avec toutes les formes de communication capables de raconter une histoire beaucoup mieux qu’elle, peut-elle trouver son propre territoire? J’ai l’intuition qu’une bonne partie de la réponse se cache dans la forme.»
A titre de spectateur, Sylvain Émard trouve rarement son compte dans la danse-théâtre souvent éclatée, importée d’Europe. «On saute d’une émotion à une autre sans crier gare. Tout ça, au nom de la liberté. Je trouve que c’est de l’ordre du "stateman".» Selon lui, ses collègues montréalais préfèrent tout comme lui mettre le paquet sur le vocabulaire chorégraphique plutôt que sur un concept. Et c’est tant mieux pour lui. «Ce qui m’intéresse en danse, c’est la dimension dynamique. Comment faire pour me rapprocher de l’abstraction? Pour moi, la création d’une chorégraphie ressemble à celle d’une musique. Elle utilise un matériel abstrait et, pourtant, elle véhicule des émotions. Le spectateur a beau vouloir la décrire, il reste toujours un peu à côté de la plaque.»
Pendant les dix-huit derniers mois, Sylvain a multiplié les mouvements dans sa tête tout en repoussant ce qui ressemble, même de loin, à une intention dramatique ou à une thématique. Un cadeau qu’il ne s’était pas fait lors de ses précédentes créations. «C’était à la fois une voie stimulante et un défi important. J’y suis vraiment allé avec ce que j’avais envie de voir. Je ne me questionnais pas à savoir si c’était correct ou non. Je me demandais plutôt: "Est-ce que ce que je vois me touche?" C’est pour ça que je me suis donné autant de temps. Je me suis même permis de jeter à la poubelle du matériel chorégraphique, un vrai luxe!»
Chorégraphe depuis 1986, Sylvain Émard poursuit son petit bonhomme de chemin de façon calme et décidée à l’image de l’homme. Bien que sa compagnie bénéficie d’un appui financier constant et progressif des gouvernements, elle n’est pas souvent sortie de chez elle pendant les dernières années. Rumeurs, montée il y a deux ans, a foulé uniquement les scènes de Glasgow, Edmonton, et bientôt celle de Toronto. Pour le moment, cette lente évolution professionnelle fait l’affaire de l’artiste. Celui-ci préfère prendre son temps, en travaillant avec des complices de longue date. Et puis, à bien y penser, dix-huit mois c’est bien peu quand on est un brin perfectionniste. «J’avais envie de pousser plus loin mes limites, de voir jusqu’à quel point je pouvais complexifier le langage chorégraphique tout en le gardant limpide.»
Dans Mensonge Variations, on retrouve des danseurs de la précédente pièce comme Marc Boivin, Blair Neufeld, Luc Ouellette et Sylvain Poirier. Ces vieux routiers partagent la scène avec Sophie Corriveau, qui a autrefois dansé pour Sylvain Émard, et une nouvelle recrue qui n’en est pas une en danse, Parise Mongrain. En tant que professeur de danse à l’Université Concordia et ancien président du Regroupement québécois de la danse, Sylvain Émard ne se sent-il pas dans ses petits souliers d’avoir ainsi négligé la relève? «Avec mes danseurs, je peux pousser plus loin la technique parce qu’ils connaissent à fond mon ouvre.» Cela dit, il envisage, comme d’autres chorégraphes de sa génération, d’ouvrir la porte de sa compagnie aux jeunes diplômés en danse. «Ils sont de plus en plus doués et beaucoup plus prêts à occuper une scène que je le croyais. Il s’agit maintenant de définir les mécanismes d’intégration. Mais pour ça, il me faut davantage d’argent.»
Au fait, pourquoi avoir intitulé sa pièce Mensonge Variations? L’explication, on l’aura deviné, se camoufle sous la couverture du formalisme. «Je souhaitais que le titre reflète la propension des créateurs à déformer la réalité. Autrement dit, de passer par le mensonge afin de mieux appréhender le réel.»
Du 28 octobre au 8 novembre, à l’Agora de la danse.