L’Enfant-Problème : La comédie tragique
Au théâtre, comme dans les autres domaines, la règle des deux solitudes s’applique. Heureusement, des exceptions existent: Michel Tremblay – grâce, entre autres, à John Van Burek – a d’abord été connu à Toronto avant de toucher les Anglos de Côte-Saint-Luc ou de Dorval. L’Albertain Brad Fraser et l’Ontarienne Judith Thompson ont leurs fans à Montréal. Cette saison, le directeur du Quat’Sous, Pierre Bernard, a décidé de nous faire découvrir George F. Walker en programmant trois pièces de sa série Motel de Passage.
Ironie du sort, l’auteur canadien le plus joué au Canada et aux États-Unis, avait fait l’objet que d’une production, à la NCT, il y a plus de dix ans! L’Enfant-Problème, à l’affiche du Quat’Sous, jusqu’au 21 novembre, réajuste le tir.
L’écriture de Walker est assez originale et percutante pour justifier cet «hommage» du Quat’Sous. D’abord, Walker est un auteur socialement engagé qui ne tombe ni dans le militantisme. L’Enfant-Problème est un drame burlesque et une comédie noire. Si Walker dépeint un univers sombre, peuplé de personnages écorchés vifs, de gens à qui la vie ne fera jamais de cadeaux, le dramaturge a aussi recours à l’humour incisif. C’est sa façon de démontrer l’absurdité d’une société qui, plus souvent qu’autrement, ferme les yeux sur l’injustice.
Cet enfant-problème, c’est celui de Denise (Céline Bonnier), une ex-prostituée et droguée à qui le service social a retiré la garde de sa fille. On la retrouve dans une chambre de motel minable avec son conjoint R. J. (Jean-François Pichette). Le couple est dans l’attente de la décision d’une travailleuse sociale (Micheline Bernard) pour récupérer leur enfant. Mais Denise sera confrontée à la bigoterie de la fonctionnaire, ainsi qu’à la mollesse de R. J., qui s’indigne davantage des frasques des reality shows à la télévision que du sort de Denise.
La mise en scène de Pierre Bernard, sa troisième, est précise et efficace. Sa lecture de la pièce souligne clairement la supercherie médiatique des émissions telles Black-out au Lion d’or ou Jerry Springer. Le décor réaliste de Jean Bard est entouré d’un cadre qui rappelle d’ailleurs la forme de l’écran du téléviseur. Pierre Bernard sait ramener l’action à l’urgence du propos et des personnages. Il souligne la détresse des situations avec un grand sens du drame, mais aussi de l’absurde. Et c’est un très bon directeur d’acteurs. Dans ce cas-ci, il faudrait dire d’actrices.
Car si la distribution est correcte du côté des acteurs (Pichette et Stéphane F. Jacques), elle est exceptionnelle chez les comédiennes. Micheline Bernard donne un véritable tour de force, en deuxième partie, dans le registre absurde et délirant. Céline Bonnier offre la meilleure prestation de sa jeune carrière. Nuancée, entière et vraie, elle comprend parfaitement l’humanité de son personnage. Bonnier atteint le sublime lorsqu’elle livre son monologue en aparté assise à l’avant-scène. Son personnage, Denise, laisse finalement voir ses blessures, son désarroi, et sa tragique solitude. La comédienne s’adresse directement au spectateur dans un pur moment de grâce.
Avec les Guilbault, Drapeau et Montpetit, Bonnier fait partie des plus grandes actrices de sa génération. Il faut aller la voir. y
Jusqu’au 21 novembre
Au Théâtre de Quat’Sous
Voir calendrier Théâtre