Paul Buissonneau : L'enfant prodigue
Scène

Paul Buissonneau : L’enfant prodigue

Sous le bouffon aux coups de gueule notoires se profile un créateur sérieux et rigoureux. En pleine forme, PAUL BUISSONNEAU revient au théâtre après une décennie loin des planches. Attention: chaud devant!

Il est toujours vert, l’oiseau rare. Tour à tour truculent et candide comme un grand enfant de 72 ans, emporté et attendri. Pendant l’entrevue, il se lève régulièrement pour jouer des bouts de scène; la conversation, sinueuse, fait des sauts inopinés dans le passé, s’attarde sur son mémorable Faut jeter la vieille, de Dario Fo, avant de revenir au présent: sa première mise en scène depuis une douzaine d’années. Paul Buissonneau semble avoir retrouvé tous ses réflexes, comme s’il n’avait jamais quitté la scène. Et d’une certaine façon, c’était le cas…

Une retraite qui n’était pas vraiment délibérée, dit Buissonneau. «Je me disais: "Ils n’ont plus besoin de moi". Je ne me suis pas posé de questions. Et ce n’est pas dans ma nature d’aller quêter. Je n’ai jamais eu à le faire non plus.» C’est venu comme une surprise, cette offre de Lorraine Pintal de monter, pour le TNM, L’Oiseau vert, de Carlo Gozzi. A priori, l’univers féerique et bariolé, trempé dans la commedia dell’arte, du grand rival de Goldoni semble aller comme un gant à l’ancien animateur de La Roulotte et interprète de Piccolo. Deux maîtres de l’imaginaire.

Mais comme le metteur en scène ne disposait pas, loin s’en faut, des 500 000 dollars avec lesquels Bruno Besson avait monté sa mémorable «grosse parodie bouffonne», il a choisi d’aborder cette épopée fantaisiste, où de jeunes jumeaux partent en quête de leurs vrais parents, par un autre biais. «Au lieu de miser sur le côté parodique de la chose, j’ai proposé aux comédiens de tabler sur la vérité. Le fabuleux est là, mais les personnages sont réels. Mais, en même temps, il n’y a pas une scène qui est pareille dans la pièce. Alors, j’ai tablé sur tous les styles du théâtre.»

Pour la première fois de sa vie, Paul Buissonneau a pu mettre la main sur le texte, traduit par Marco Micone, bien avant de répéter. Reste que c’est en salle, avec les acteurs, qu’il trouve son inspiration, pour nourrir tous ces «jeux parallèles au texte». «Moi, je suis juste là pour soutenir les comédiens, leur donner le maximum d’information sur ce que pourrait être la pièce.»
Pour L’Oiseau vert, donc, pas de trucages compliqués. Plutôt une façon naïve de rendre les trucs transparents. «Il faut que ce soit d’une simplicité telle que ça fasse sourire les gens.» Le metteur en scène mise sur ce côté merveilleux de l’enfance, que lui-même dit avoir conservé, «jusqu’à l’infantilité». Un personnage, le Buissonneau public? «Ah non, je me sens comme ça. Je déconne tout le temps, moi! C’est effrayant. J’ai besoin de ce côté euphorique et vivant. Je ne sais pas si je me débats contre la mort… J’ai toujours été comme ça! Et je ne cherche pas à changer. Parce que quand j’ai voulu me prendre au sérieux, "cérébraliser" les choses, je me suis cassé la gueule.»

Buissonneau est resté le même, lui dont le premier souci est toujours de ne pas ennuyer les gens, quitte à sabrer dans le texte: «Même si t’as fait quelque chose de beau, si t’emmerdes le monde, t’es passé à côté!» Artiste libre, il a ajouté à la fin, un peu trop jolie à son goût, «une coloration pas prévue par Micone – je ne sais pas ce qu’il va en penser -, parce que la vie ne se termine jamais en beauté». Et l’amoureux des objets, celui qui a monté La tour Eiffel qui tue avec des séchoirs à linge, qui a fait des miracles avec des riens, compensé le peu de moyens par un surplus d’inventivité («Pour moi, c’était naturel. Les gens ont toujours prétendu que c’était de l’imagination. Alors que c’était de la débrouille, du système D!»), joue encore avec des «bébelles»: il a fait le tour des brocantes pour récupérer des accessoires et des pans de décor.

C’est le métier qui a un peu changé: les rôles sont plus compartimentés… «Moi, je travaille comme un artisan: dès le début d’une mise en scène, j’ai une vision globale de l’ensemble. Ce qui est très pratique pour moi, mais emmerdant pour mes collaborateurs. J’ai des idées très précises, alors qu’aujourd’hui, chacun fait son petit truc, et on mélange le tout. Je ne suis pas capable de travailler comme ça: il n’y a pas d’unité. J’ai besoin qu’il y ait un style dans une pièce.»

Sous le bouffon aux coups de gueule notoires se profile un créateur qui affiche beaucoup de rigueur et de sérieux. «J’ai des appétits aussi bien de coloration que de forme sur scène. Qu’on arrête de faire du théâtre de boulevard! Les attitudes des comédiens sont souvent très réalistes. Dans certains spectacles, il ne se passe pas grand-chose. Il faut qu’il y ait une invention, corporelle même. J’aime mieux voir des acteurs essayer de nous surprendre par un jeu qui ne soit pas une simple illustration du texte, mais un complément intérieur.»

Sa grosse distribution, qui compte de vieux complices comme Jean-Louis Millette et Hélène Loiselle, mais aussi de plus jeunes comme Martin et Isabelle Drainville, Yves Desgagnés et Suzanne Champagne, l’a suivi dans sa démarche. «Je suis étonné que les jeunes marchent avec moi. C’est passionnant. Petit à petit, je pense que je les ai apprivoisés. J’avais un peu peur, à cause de ma réputation de gueulard. Mais les gens qui subissent (mes colères) le méritent aussi – je ne gueule pas pour rien.»

Buissonneau dit avoir plus de patience qu’avant. Sauf que les gants blancs ne font toujours pas partie de sa garde-robe: gare aux comédiens qui traînent de la patte… «Ah, je peux être méchant. Je peux leur parler de la Maison des artistes, où il y a encore de la place… Je me suis fait engueuler par Lorraine à cause de ça. Mais on ne me changera pas. Tant que je pourrai dire les choses, je les dirai. J’oublie, par contre. Je n’ai pas de rancune.»

Peu importe la façon dont L’Oiseau vert va être reçu, Paul Buissonneau se déclare très heureux. «La création, c’est formidable.» Il est debout à l’aube, en train de repasser le texte. Ce qu’il appréhende surtout, c’est «l’après», le vide qu’il risque de ressentir à la fin du travail. «J’étais chez moi, pépère. Et, tout à coup, voilà que je cavale huit heures par jour.»

Heureusement, il a «sa médaille» (un Prix du Gouverneur général) à aller chercher à Ottawa. Et il garde dans sa manche une adaptation théâtrale de Mon valet et moi, d’Hervé Guibert. Et puis… «On verra. Moi, j’improvise toujours. J’ai improvisé ma vie.»

Dès le 27 octobre
Au Théâtre du Nouveau Monde