L'Ogrelet : Tout conte fait
Scène

L’Ogrelet : Tout conte fait

Racontée simplement, elle donne des frissons dans le dos, l’histoire de L’Ogrelet, que le Carrousel présente aux enfants de six à dix ans à la Maison Théâtre. Il y est question, en effet, d’un garçon de six ans qui fait son entrée à l’école, comme tous les autres. Mais il est si grand, ses mains sont si larges!… Sa maman l’appelle affectueusement «mon Ogrelet». Depuis sa naissance, elle le prémunit contre lui-même: alimentation végétarienne, nulle couleur rouge offerte à sa vue, rien qui puisse éveiller ses instincts… Jusqu’aux arbres qu’elle a plantés autour de la maison qui ne rougissent pas à l’automne! Elle s’inquiète à juste titre, car elle sait que le père, qui est parti après avoir dévoré l’une après l’autre ses six filles peu après leur naissance, lui a laissé en héritage une tare abjecte: l’«ogreté».

Comment le petit Simon arrivera à côtoyer sans saliver ses camarades de classe, comment il résistera à la robe et aux lèvres rouges de la maîtresse, comment il décidera, enfin, de vaincre l’ogreté en se soumettant à trois épreuves: c’est là l’intrigue de la pièce. En prime, un lièvre dévoré, des hurlements de loup… et cet orteil croqué que l’on garde dans sa poche avec un peu de sang séché.
J’entends la rumeur outrée des parents qui voudront éviter un tel traumatisme à leur petit.Or, s’il est vrai que le propos de la dernière création de Suzanne Lebeau est assez effrayant, il faut s’empresser de préciser que la tendresse maternelle domine le spectacle, que la drôlerie naïve de Simon pointe sous l’horreur de son état, car il ne se souvient jamais de ses comportements étranges, et que la mise en scène de Gervais Gaudreault, magnifique, nous transporte dans les contrées envoûtantes du conte, au profond de la forêt de l’Ogrelet. Et puis n’oublie-t-on pas trop souvent que les enfants en ont vu d’autres, que les livres de contes sont pleins de sorcières et de vampires, ces serial killers d’un autre temps?

Pour ancrer le conte non pas dans le réalisme d’une chaumière mais dans l’enveloppante forêt, refuge des ogres mais aussi lieu de la tentation, Francine Martin signe un superbe travail scénographique: elle crée une profonde forêt ombragée par de simples projections de feuillage sur un plateau tournant planté de silhouettes d’arbres, au creux duquel est installée la maison de l’Ogrelet. Sur ce décor mouvant, les clairs-obscurs de Dominique Gagnon font merveille, éclairant ici la cuisine familiale, là le repaire où Simon se livre aux terribles épreuves contre l’ogreté.

Complices, généreux, les deux comédiens captent sans mal l’attention du jeune public, malgré la facture plutôt sombre du spectacle. Mireille Thibault campe une mère aimante, rassurante, mais on voit soudain dans son regard passer l’anxiété qui la ronge. Et l’on comprend la douleur qu’elle a eue de perdre non seulement ses filles, mais aussi l’homme qu’elle aimait. Avec sa haute taille et sa dégaine de gamin, François Trudel est un Simon-Ogrelet très crédible, vraiment poignant dans son ambivalence, tantôt effrayé par sa nature et la menace qu’il représente, tantôt affamé de chair fraîche, impulsif et tueur.

C’est contre lui-même que le garçon entreprend un combat pour être libre. Libre de jouer avec la petite Pamela, d’aller à l’école et d’apprendre. On pourrait gloser longuement sur le thème de Dr. Jekyll et Mr. Hyde, et des monstres qui dorment au fond de nous… Suzanne Lebeau effleure tout cela sans appuyer, et le théâtre fait son ouvre sur les petits esprits, comme le fait le conte merveilleux.
Par ailleurs, on peut initier les enfants aux arts visuels à l’occasion de cette sortie, car le Carrousel et la Maison Théâtre présentent une exposition sur le thème de la forêt: Neuf artistes, neuf regards sur la forêt.

Jusqu’au 8 novembre
A la Maison Théâtre