Michel Nadeau : Le miroir des limbes
Ecce Home, la dernière création de MICHEL NADEAU, prend l’affiche au Périscope en version revue et corrigée. Lors de la rencontre, l’auteur et metteur en scène a relaté avec nous la genèse de la pièce.
Il y a une aura bien particulière qui flotte autour de Michel Nadeau. Un je-ne-sais-quoi qui relève à la fois de l’éthéré et de la profonde humanité. Difficile à décrire… Peut-être est-ce parce qu’il porte plusieurs chapeaux à la fois: comédien, directeur artistique du Théâtre Niveau Parking, auteur, metteur en scène, directeur du Conservatoire d’art dramatique de Québec. Ou peut-être est-ce tout simplement le bleu entêtant de son regard conjugué à un sourire à faire fondre neige en hiver… Peu importe. Cet artiste polyvalent a quelque chose d’un magicien, d’un grand enfant qui s’amuse à fabriquer des images fortes en sens et en sensations. Sa dernière fable, Ecce Homo, reprend l’affiche au Périscope après un premier passage au printemps dernier à l’occasion du Carrefour international de théâtre de Québec. Voici l’homme…
Homme et conscience
Depuis plusieurs années, le projet de la pièce Ecce Homo trottait dans la tête de Michel Nadeau. «J’avais vu le film Le Septième sceau de Bergman et j’avais été très touché par la thématique de cette ouvre. Après avoir mis la main sur le scénario, j’ai eu envie de faire une pièce avec ça. J’ai proposé le projet aux gens du Théâtre Repère, Robert Lepage en tête. On a travaillé sur ce qui devait être la première étape d’une entreprise plus longue. Ça s’intitulait Le Bord extrême et c’était constitué d’extraits du scénario original que nous avions, Robert et moi, retravaillés. En fait, ça relevait plus de l’exploration que du spectacle», explique l’auteur en ajoutant que «ce fut un flop, pas artistiquement, mais on a pris l’affiche pour un mois et ce n’était pas prêt alors…» C’était en 1986. L’aventure grève de façon importante le budget du Repère et le tout tombe aux oubliettes. Mais Michel Nadeau reste sur sa faim, sentant qu’il y avait matière à poursuivre. L’idée ne le quitte pas. Il écrit des petits bouts de textes en écoutant les nouvelles, il accumule et accumule du matériel. «Et puis le temps est venu où je me suis senti prêt à ramasser tout ça. Il fallait quand même décanter car ce n’était plus une transcription du scénario du film. Je n’ai gardé que l’anecdote comme structure.»
Dans un pays où la guerre fait rage, un soldat se retrouve face à la Mort venue le chercher. Il lui demande un délai, qu’Elle lui accorde après avoir conclu un pacte avec Virgile, le poète. Vallier, le soldat en sursis, entreprend une longue errance sur cette terre dévastée. Il y rencontrera divers personnages. Au fil de sa quête, le meilleur de lui émergera à force de côtoyer le pire. «C’est un spectacle sur la guerre, poursuit Michel Nadeau, et même si nous ne sommes pas en guerre nous-mêmes, nous vivons les conflits mondiaux au jour le jour avec la télévision et les chaînes spécialisées comme CNN. On reçoit tout ça quasiment en direct. Ça me pose des questions comme être humain. Qu’est-ce que la mort a de si séduisant pour que l’on recommence toujours à s’entre-tuer? Dans un contexte politique explosif, qui dit que ça ne pourrait pas nous arriver? On porte l’horreur en nous et j’ai voulu comprendre pourquoi on choisit la mort plus facilement que la vie.» Vallier (interprété par Denis Lamontagne, inoubliable Johnny B, le tronc de Dieu) a participé aux atrocités de la guerre. Son parcours en est un de changement de conscience. Il privilégiera finalement la vie. Michel Nadeau est optimiste. «Il me semble percevoir un mouvement vers la vie au sein de notre société, que ce soit par les préoccupations écologiques, la charte des droits des enfants, etc. C’est un peu mon bilan personnel du changement de millénaire. Il va de soi que tout ça constitue un processus à long terme, mais je crois que les choses évoluent peu à peu.»
Ma référence
Ecce Homo a été un des bons succès de foule du dernier Carrefour, malgré des critiques un peu tièdes qui semblaient relever certaines longueurs. Michel Nadeau et ses comédiens ont pris note du pouls du public et l’ensemble a été retravaillé. Résultat: on a resserré en coupant une vingtaine de minutes. «C’est bien d’avoir l’opportunité de laisser la poussière retomber, de se revoir et de pouvoir retravailler ensemble avec les impressions que tous et chacun ont eu en jouant. On a coupé et on a refait des liens pour aider à la compréhension», explique l’auteur et metteur en scène. Difficile de taillader son ouvre? «Il y en a pour qui c’est très difficile de couper une virgule mais ce n’est heureusement pas mon cas! Je n’ai pas le sentiment que c’est mon "bébé". C’est le spectacle qui a raison, voilà tout. Mon rôle de metteur en scène prend alors le dessus sur celui d’auteur.» Dans cette production, Michel Nadeau utilise un matériau relativement nouveau pour lui: la projection cinéma et vidéo. «La source du spectacle étant un film, j’ai eu envie d’explorer cette possibilité. J’aime beaucoup le grain du cinéma noir et blanc. C’était une façon de me colleter avec ce médium. Ça permet de faire avancer l’action, de projeter des souvenirs ou de faire des gros plans. Et la présence des quatre écrans de soie sur scène offre des possibilités de transparence très intéressantes.»
De prime abord, on pourrait conclure qu’Ecce Homo se situe aux antipodes de Jeanne et les anges, autre pièce de Michel Nadeau qui connaît un troisième souffle cette année (la pièce sera montée en janvier 99 à la Compagnie Jean-Duceppe, à Montréal, et, fait assez exceptionnel, dans sa distribution originale). L’auteur y voit plutôt une résonance particulière, très personnelle. «Dans Jeanne et les anges, il y a une espèce d’ascendance en rapport à nos racines très québécoises. Comme si je regardais derrière moi et que je remontais l’arbre généalogique. Avec Ecce Homo, je regarde autour de moi en utilisant mes racines artistiques personnelles. Il y a les références à Bergman, un artiste que j’admire beaucoup ainsi que des références à l’Antigone de Sophocle. Ce sont mes deux "hits" personnels! J’étais en communication avec mon passé familial avec Jeanne et là, je visite mon passé culturel avec Ecce Homo.» Et de quoi Michel Nadeau a-t-il envie de parler maintenant? «Je pense que la question de filiation, spirituelle ou génétique, c’est pas mal terminé! Je me suis positionné par rapport à tout cela. Je travaille sur une coproduction à quatre, un truc sur le bonheur… Ça va changer un peu!» En attendant le bonheur version Michel Nadeau, le Périscope et le Théâtre Niveau Parking offrent l’occasion de découvrir ou de redécouvrir la poésie et la beauté des mots de cet auteur unique de la dramaturgie québécoise, dans une distribution composée de Yves Amyot, John Applin, Marie-Josée Bastien, Matieu Gaumond, Denis Lamontagne, Édith Paquet, Normand Poirier, Jack Robitaille, Rychard Thériault, Charline et Camille Pelletier. La réalisation des images est de Francis Leclerc.
Du 3 au 21 novembre
Au Périscope