Sylvie Moreau : Entre les marges
Scène

Sylvie Moreau : Entre les marges

Du théâtre de création – avec Momentum, Omnibus et Pigeons International – au merveilleux monde de la télévision, il y a une marge que SYLVIE MOREAU franchit sans piler sur ses convictions artistiques. Au Rideau Vert, elle incarne une cocotte délurée de Feydeau. Et veut prouver que le vaudeville peut être «subversif»!!!

Sylvie Moreau a le don de déjouer nos attentes. Une comédienne physique, la sulfureuse interprète d’Ostrus, qui a fait ses classes avec Omnibus, Pigeons International, Momentum, et appris l’importance d’habiter son corps sur scène? Plutôt une actrice technique et cérébrale, doublée d’une femme déterminée, aux idées claires. Celle qui a tracé son chemin avec les compagnies de «la marge» se retrouvera la semaine prochaine dans l’antre plutôt conservateur du Rideau Vert. Qui plus est, pour jouer dans un Feydeau?

«Je me sens libre de faire mes choix, commandés par rien d’autre que mes envies et ma façon de voir ce métier-là», dit Sylvie Moreau, visiblement enthousiasmée par l’expérience. J’ai fait beaucoup de créations, et ça m’anime encore. Mais en création, le gros trip est dans le processus de travail. A la représentation, il reste finalement peu de chose de tout ce qu’on y a mis comme interprète – et c’est correct. Mais ces temps-ci, j’ai le goût d’avoir des personnages à creuser, de ne pas jouer huit rôles dans une pièce. Je découvre le plaisir de camper un seul personnage qui a une incidence sur l’action.»

Dans Un fil à la patte, une intrigue enchevêtrée comme Feydeau sait les tisser, mise en scène par Daniel Roussel dans une esthétique «très Toulouse-Lautrec», elle incarne une chanteuse de cabaret, «une cocotte fort délurée», à qui son amant (François Papineau) tente vainement d’avouer qu’il se marie le soir même. Le reste n’est que quiproquos… Sylvie Moreau, qui adore le «théâtre de conventions», celui qui s’éloigne du réalisme pour nous entraîner dans un autre monde, est d’autant plus ravie qu’un Feydeau ne peut être qu’un objet éminemment théâtral.

«Monter Feydeau aujourd’hui, je trouve que c’est un beau pied de nez à notre tendance à vouloir tout actualiser, et à donner un sens à tout. Souvent, on se sent obligé de dire: "C’est actuel, ça touche notre monde…" Il ne faut surtout pas que l’art soit inutile. La culture au Québec, on dirait qu’il faut qu’elle se justifie, d’une certaine façon, parce qu’elle est toujours vaguement en danger. On dirait qu’il faut constamment la défendre, et ça me tue. L’art, ça peut aussi être présenté juste pour l’ouvre, parce que c’est beau, divertissant. Ça peut aussi être un objet intègre en soi, sans autres justifications. Je trouve ça quasiment subversif de monter du Feydeau maintenant (rire).»

La comédienne sait manifestement ce qu’elle aime, et surtout ce qu’elle n’aime pas. «Dire non à un projet, c’est, d’une certaine façon, beaucoup plus impliquant que de dire oui. Parfois, on dit oui sans y penser. Mais on ne dit jamais non sans y réfléchir, sans faire le tour de la question. Alors, je trouve que c’est toujours un grand acte d’autonomie et de liberté que de dire non. Et c’est très révélateur de ce qu’on est.»

Sylvie Moreau a pourtant répondu «si» à plusieurs offres. Dans les prochains mois, elle s’éclatera sur tous les fronts. Au printemps, elle entrera dans la peau de la voluptueuse Mae West, à la faveur du spectacle que monte Robert Lepage sur Frida Kalho. Cet été, elle a tenu le rôle principal (son premier), avec Gabriel Arcand, dans un film «extraordinaire» de Louis Bélanger. Et en janvier, on fera connaissance avec Moreau l’auteure, qui coécrit une sitcom pour Radio-Canada, Catherine, dans laquelle elle jouera le rôle-titre, aux côtés notamment de Dominique Michel. Elle découvre ce drôle de monde, gavé d’argent et de pouvoir, où, contrairement à la création, la meilleure idée ne triomphe pas forcément…

«Tant qu’à chialer (contre la médiocrité à la télé), je me suis dit que j’allais faire quelque chose qui me ressemblerait. Aller à la télévision, où est l’argent, oui, mais en m’arrangeant pour le faire à des conditions qui me plairaient, et où je ne sentirais pas que je n’ai pas ma voie, comme je l’ai eue en théâtre.» Pour la comédienne, l’essentiel est d’abord d’être intègre avec soi-même, d’assumer ses choix, quels qu’ils soient. «Tu fais de la télé plate? Alors, tu n’as plus le droit de chialer que c’est de la télé plate, parce que tu as choisi de le faire. Au moins, épanouis-toi là-dedans.»

A 33 ans, ayant acquis suffisamment de confiance pour dire ce qu’elle pense, Sylvie Moreau est à un point tournant. «Je vis une année où tout d’un coup les choses que je fais vont ressembler à ce que je suis maintenant. Tout en ne ressemblant pas à mon parcours précédent. C’est sûr que c’est un changement. Inévitablement, je vais me sentir moins dans la marge. Mais tant mieux: je suis prête.»

«Cela dit, la marge ne me fera jamais peur et sera toujours préférable pour moi à être une star… Je ne fais pas ce métier-là pour être connue, mais pour être reconnue dans ce que je fais. Je suis très heureuse d’être là où je suis.»
Révoltée par le «règne du fric» et par le pouvoir accordé aux gestionnaires, au détriment des créateurs; sidérée par les directions artistiques de théâtres institutionnels, qui «maintenant se comportent comme des producteurs de télé», en demandant des acteurs connus au petit écran, même «pour des seconds rôles», et par la paresse de tout ce monde «qui ne se déplace plus pour voir des spectacles», Sylvie Moreau n’a pas le goût d’être juste une interprète, si dépendante des rôles. «J’ai besoin de créer aussi, d’amener ma propre vision. En ce moment, mon rêve est de produire, pour enfin laisser les créateurs s’exprimer librement.»

La comédienne a choisi de brasser un peu les choses de l’intérieur, à sa mesure. «La révolte, c’est très nourrissant. Mais au-delà de la révolte, à un moment donné, il faut poser de vrais gestes. Est-ce qu’on joue les artistes maudits en restant dans notre ombre, la bave à la gueule, ou alors on rentre dedans pour communiquer avec les gens? Moi, c’est ce que je veux faire.» y

Du 3 au 28 novembre
Au Théâtre du Rideau Vert