Qu’il est ténu, le fil de la communication! Il risque à tout moment de se briser, cédant sous la tension d’une mauvaise interprétation ou d’un faux-semblant. Un ton de voix qui évoque un mauvais souvenir, un geste en contradiction avec le discours et flop! chacun s’enferme en lui-même, et le dialogue devient monologue. Ce paradoxe de la communication déficiente, à l’ère des communications ultra-sophistiquées, est le thème très à propos de la dernière création de la compagnie Voxtrot.
Ce nom fait tout de suite image pour les amateurs de théâtre, car il y a un style Voxtrot: la parole décortiquée, le corps ciselé qui s’agite dans la lumière d’un stroboscope, l’omniprésence de la musique, la fraîcheur absolue du ton. Mais sous l’enveloppe esthétique pimpante, au cour même de ces shows portés à bout de souffle par des acteurs gymnastes, qui assument l’ambivalence d’être à la fois mimes et verbomoteurs, se dessine une faille, un manque qu’il faut pourvoir dire pour le combler. Et les fondatrices de Voxtrot (Charmaine LeBlanc, Mylène Roy et Michoue Sylvain) appellent à la rescousse la dérision et l’humour, comme on adoucit avec de la cerise un remède trop âpre. Dialogue de sourds réussit à nouveau ce dosage d’apothicaire pour exorciser les malaises ambiants.
Avec l’histoire de Boquet et de son frère Bill, grands enfants qui jouent les gangsters (Ducharme n’est pas loin), Michoue Sylvain signe un spectacle cocasse et énergique, qui emprunte à l’esthétique des dessins animés (postures, mimiques, bruitage) sans toutefois s’y enliser. Il y a là, en effet, beaucoup plus qu’un exercice de style. Les niveaux de jeu et de réalité alternent, nous amenant progressivement à démystifier le jeu de Bill-Boquet, qui avaient réussi à nous leurrer. Intercalées à des moments-clés, des scènes évoquant l’enfance et l’adolescence des sympathiques malfaiteurs laissent entrevoir les écueils immenses de la communication familiale. Si l’on s’amuse ferme devant ce «suspense psycho-comique» – rien de plus léger que l’étoffe de ce spectacle -, le divertissement ne nous distrait pas d’une réflexion essentielle sur les relations humaines: la difficulté d’entrer en communication, le corps qui trahit la pensée ou les décrochages salutaires de notre esprit nous libérant d’un interlocuteur étourdissant.
Dans l’espace fragmenté en quatre lieux (l’appartement de Bill, un bar, un musée abritant le bébé momie Pouponkhamon que les deux compères vont voler, un box des accusés), le trio d’interprètes semble se multiplier à loisir: ils sont partout, et changent de personnage en enfilant un bout de costume. Michoue Sylvain (Boquet) et Alex Veilleux (Bill), cartoonesques, livrent une performance merveilleusement au diapason. Leste caméléon, la percussionniste Charmaine LeBlanc les accompagne dans leurs déplacements, trouvant à chaque endroit les instruments et la quincaillerie héréroclite pour créer un véritable «environnement sonore»; l’expression, souvent galvaudée, prend ici tout son sens, puisque les comédiens semblent enveloppés et animés par la musique, épiés dans leurs moindres gestes par le bruitage.
D’ailleurs, c’est peut-être là que s’établit le seul vrai dialogue: entre une musicienne et des acteurs attentifs les uns aux autres et qui, sans parler la même langue, se comprennent parfaitement. Ils possèdent le don archaïque de la communication live, sans modem: pas étonnant qu’ils «branchent» aussi le public!
Jusqu’au 14 novembre
A l’Espace GO