La Grande Magia : Le maître des illusions
Scène

La Grande Magia : Le maître des illusions

Une métaphore prenante sur la fragilité humaine et la relativité de la perception, une comédie sociale, un divertissant jeu de passe-passe: La Grande Magia a plus d’un tour dans son sac. Écrite en 1948, la belle pièce d’Eduardo de Filippo, prolifique auteur et metteur en scène italien, enfant du siècle mort en 84, navigue habilement entre le rire et l’émotion, l’illusion et la vérité, entre l’amusant lapin que pose un magicien désargenté à un mari trop jaloux, et le grand tour que la vie nous a joué à tous en inventant la mort. La grande, et cette petite qu’est la désillusion.

A la base de la pièce, il y a un numéro qui tient plus de la supercherie que de la prestidigitation: corrompu par l’amant de la dame, un illusionniste de troisième ordre fait disparaître la femme d’un homme très possessif. Au mari qui veut revoir sa légitime, l’imposteur remet un petit coffret en lui disant qu’elle est là. Il lui suffit d’ouvrir la boîte… et d’être convaincu de la fidélité de la belle. Oups… La pièce suit la déchéance du pauvre homme, qui, quatre années plus tard, emberlificoté dans la rhétorique trouble du magicien, s’entête toujours à préférer la douceur ambiguë du doute aux certitudes fatales d’une réalité décevante.

Le spectacle présenté chez Jean-Duceppe fonctionne à plusieurs niveaux. Il y a d’abord le plaisir de la mise en abyme. Bien que jouant sur des effets modestes, le show nous constamment donne à voir l’envers du décor, le toc de cet univers magique, à coups de clins d’oil. L’ingénieux dispositif scénographique mobile de Guillaume Lord nous vaut notamment une séquence onirique très réussie.
Inspirée du «cinéma italien d’après-guerre», la mise en scène souple et légère de Serge Denoncourt soigne particulièrement les personnages secondaires de cette grosse distribution (dix-huit comédiens, la plupart justes), campés tels des archétypes comiques: l’amusante posture raide de Gary Boudreault, la prestance bourrue et désinvolte de Benoît Girard, la nonchalance macho de David Savard, les attitudes très typées d’Antoine Durand et de Danielle Lépine en famille outragée; et la truculence de la savoureuse Monique Miller, impayable en assistante défraîchie et épouse revenue de tout.
A défaut d’être une imposante machine à illusions, la production, qui passe sans heurt de la comédie à l’émotion, d’un tableau à l’autre, met surtout en lumière le drame de cet homme qui refuse de renoncer à un espoir chimérique, quitte à s’enfoncer dans la folie. Un personnage joué avec une grande justesse et une émotion poignante par Germain Houde, qui effectue là un retour des plus convaincants au théâtre. Par contre, Jacques Godin, en illusionniste à la petite semaine, constitue un point d’interrogation. Il montrait d’évidents signes de nervosité le soir de la première. Son talent lui permettait de s’en tirer honorablement, mais on le sentait fragile, pas encore en maîtrise de son rôle. Ça viendra peut-être…

Mais le plus beau tour de la pièce, c’est qu’elle révèle constamment les faux-semblants qui sous-tendent cet univers, tout en faisant en quelque sorte l’apologie du rêve et de la foi. Les armes du naïf, sans lesquelles l’homme serait singulièrement démuni en ce monde.y

Jusqu’au 5 décembre
Au Théâtre Jean-Duceppe