Le Horla : Mauvaise nouvelle
«Cette nuit, j’ai senti quelqu’un accroupi sur moi et qui, sa bouche sur la mienne, buvait ma vie entre mes lèvres…» C’est ainsi que dans Le Horla, Guy de Maupassant décrivait l’angoisse d’un homme se croyant happé par une mystérieuse présence invisible. Une hantise que le maître français de la nouvelle aurait lui-même vécue, au terme de sa courte existence qui s’est achevée dans l’hallucination, la crainte des présences occultes et l’internement.
Sur la scène de la salle Fred-Barry, jusqu’au 14 novembre, le Théâtre du Double Signe de Sherbrooke cherche à donner une réalité théâtrale au monologue enfiévré et fantastique que Maupassant livrait, par victime interposée, dans Le Horla. Malheureusement, cette transposition scénique déçoit, l’interprétation et la mise en scène ne réussissant jamais à exploiter de façon satisfaisante le potentiel dramatique de cette prose bouleversante.
En soi, la nouvelle de Maupassant est un bijou d’écriture maîtrisée qui a tout pour captiver. La description minutieuse et inquiétante d’une folie qui s’installe peu à peu, d’une réalité qui bascule insidieusement dans l’étrange, nous transporte directement dans le cerveau du personnage central qui nous raconte sa lutte pour rester lucide.
Autre atout du récit: grâce au procédé du journal intime, il progresse par épisodes et prend des allures d’histoire perpétuellement à suivre. Une sorte de suspense s’y installe, au fur et à mesure que le narrateur s’enlise dans son cauchemar éveillé.
Sur scène, cependant, la performance solo du comédien Patrick Quintal, échoue dans sa tentative de nous faire partager le drame de son personnage. Confondant précipitation et intensité, Quintal livre son texte de façon beaucoup trop rapide et nerveuse pour pouvoir installer les climats troubles, les pressentiments inquiétants, les doutes torturants qui hantent la prose de Maupassant.
Mais surtout, par son jeu univoque, le comédien n’arrive jamais à nous faire sentir l’ambiguïté de son «halluciné raisonnant» qui s’invente un tourmenteur surnaturel, le Horla, pour s’expliquer l’inexplicable. Les carafes d’eau qui se vident durant la nuit, les pages qui tournent toutes seules sont-elles des preuves tangibles de la présence d’un intrus ou simplement les lubies d’un esprit troublé? L’interprétation ne joue pas à fond sur cette incertitude qui crée une tension constante dans l’ouvre littéraire.
Même si sa direction d’acteur est en cause dans cette proposition théâtrale peu convaincante, le travail de la metteure scène Carole Nadeau comporte aussi ses bons coups. Cette façon d’amener le personnage à faire bouger les meubles de sa chambre pendant qu’il s’adresse à nous évoque la réalité mouvante dans laquelle il se débat.
En contrepartie, les projections d’extraits de journal intime et de dates sur la surface d’un miroir se révèlent tout aussi artisanales que peu éloquentes. A cet égard, des jeux de miroirs plus travaillés auraient pu nous renvoyer à l’idée que le Horla n’est peut-être, après tout, que le double que chaque humain porte en lui-même. Mais, ici encore, on sent un manque de vision.
Dans cette production, l’ajout d’une incarnation humaine, d’une mise en scène et d’une scénographie au texte de Maupassant n’auront contribué, somme toute, qu’à en amoindrir la portée. Heureusement, les spectacles passent, mais les écrits restent…
Jusqu’au 14 novembre
A la Salle Fred-Barry