Mensonge Variations : A corps perdu
Scène

Mensonge Variations : A corps perdu

Sylvain Émard ne s’en cache pas: il appartient à l’école des formalistes, des chorégraphes qui n’en ont que pour le geste, et rien d’autre. Son travail s’appuie principalement sur la qualité de l’interprétation et la complexité de la gestuelle. Selon lui, la danse n’a pas besoin d’emprunter au théâtre ou à une autre forme d’art pour émouvoir le spectateur. Inscrite dans une structure montée serré et interprétée avec âme, elle n’a pas d’autre choix que d’aller droit au but. Vraiment?

Avec sa dernière pièce Mensonge Variations, à l’affiche de l’Agora de la danse jusqu’au 7 novembre, le spectateur pénètre dans un univers baigné de mélancolie et de tristesse, chéri par les chorégraphes québécois comme Danièle Desnoyers, Louise Bédard ou Hélène Blackburn. Ce qui distingue Sylvain Émard de ses collègues, c’est son écriture chorégraphique extrêmement fournie qui se renouvelle ou se répète d’un interprète à un autre. Le très beau solo de Blair Neufeld, par exemple, évoque par moments un personnage issu des tableaux de Francis Bacon (un peintre britannique admiré par le chorégraphe): même désarroi dans le regard, même laisser-aller du corps.

Mais l’admiration d’Émard pour le mouvement a malheureusement ses inconvénients. C’est qu’elle exclut les extravagances faisant la force d’une Marie Chouinard, par exemple, et qui donnent au spectateur l’impression d’assister à une soirée unique.
Ceux et celles qui admirent ce type de travail, et il y en a, à en juger de la réaction du public le soir de la première, seront servis car le chorégraphe sait s’y faire. Il sait aussi s’entourer d’excellents collaborateurs et danseurs. A commencer par Bertrand Chénier qui signe une musique contemporaine, à l’occasion jazzée, ponctuée de longs silences, et qui renforce le sentiment d’étrangeté de la pièce. Par ailleurs, les interprètes livrent une prestation sentie et d’égale force. On comprend pourquoi tant de danseurs québécois souhaitent travailler pour Sylvain Émard: sa gestuelle exige une grande virtuosité et une excellente mémoire.

Il y a quelques années, ce type de danse aurait charmé des salles entières. Aujourd’hui, la présence de plus en plus répétée de chorégraphies éclatées et dynamiques sur les scènes québécoises, surtout en cette saison, jette de l’ombre sur le travail des formalistes, qui apparaît un brin suranné. Force est de constater que, malgré l’absence de thème et la volonté de Sylvain Émard de laisser libre cours au spectateur d’interpréter ce qu’il voit sur la scène, sa pièce évite difficilement les écueils souvent réservés à la danse contemporaine: c’est sérieux et terriblement abstrait.

L’équipe du chorégraphe y a consacré des mois de travail, et cela se voit. Cependant, à trop vouloir miser sur la précision du mouvement, Sylvain Émard évacue la surprise. Mais, compte tenu de ses choix artistiques et de son évolution professionnelle, peut-il faire autrement?

Jusqu’au 7 novembre
A l’Agora de la danse