Micheline Parent : L'amour en fuite
Scène

Micheline Parent : L’amour en fuite

Après Carbone 14, Le Pool, et les hauts et les bas de la vie parisienne, MICHELINE PARENT revient au Québec avec une première pièce: Nuit de chasse. Une histoire de passion, de folie et de quête éperdue, au bout de laquelle la mort est douce. Comme un langoureux cri d’amour.

Vendredi soir, une naissance va avoir lieu au Théâtre d’Aujourd’hui. Sans cris ni contractions, mais avec beaucoup d’angoisse, une nouvelle voix se fera entendre sur la scène. Elle sera aidée par les soins du docteur es dramatis René Richard Cyr et sept bons comédiens qui font partie de la création de Nuit de chasse, première pièce d’une «jeune» auteure de 44 ans du nom de Micheline Parent.

L’analogie n’est pas gratuite. Au théâtre, la création d’une première ouvre représente une naissance. Bien sûr, le texte existe déjà. Il est même publié chez Dramaturges Éditeurs. Plusieurs personnes l’ont lu, voire commenté. Diane Pavlovic, responsable de la dramaturgie au CEAD, a qualifié cette prose d’à la fois «tellurique et éthérée».

Or, ce week-end, la pièce sera véritablement mise au monde. L’enjeu est important. Car si cette parole prend son envol, Micheline Parent se taillera une place parmi les dramaturges québécois à surveiller dans l’avenir.

Pourtant, tous les chemins avaient éloigné Parent de l’écriture dramatique. La comédienne, diplômée de l’UQAM, a été formée au théâtre corporel. Elle a travaillé au sein de Carbone 14, au début des années 80 (Pain blanc, Vies privées). Puis, elle a été membre fondatrice de la défunte compagnie Le Pool. A la fin des années 80, c’est la rupture avec le milieu théâtral québécois, et l’exil. La comédienne va vivre à Paris, où elle va rouler sa bosse, comme on dit.

«A Paris, j’ai pris des cours de chant, de jazz, de danse, de dessin. J’ai étudié les classiques et suivi des tas d’ateliers. J’ai joué dans des petits trucs. Mais ça ne débouchait pas. Je travaillais comme réceptionniste, barmaid… Je sentais que ma vie ne menait nulle part. Des amis m’ont poussée à faire quelque chose. Je me suis enfermée chez moi. Et j’ai commencé à écrire…»

En 1996, sur les conseils d’un ami, Micheline Parent participe à un concours d’auteurs de la Fondation Beaumarchais à Paris. Coup de chance du destin: elle reçoit une bourse pour un projet d’écriture d’une pièce de théâtre. Elle commence alors Nuit de chasse, et revient au Québec comme pour boucler la boucle de sa quête fébrile. Elle envoie un premier jet de Nuit de chasse au CEAD, texte qui sera retravaillé. Finalement, la pièce tombe dans les mains de René Richard Cyr et le séduit totalement. Il décide, avec Michelle Rossignol, de la produire au Théâtre d’Aujourd’hui.

Nuit de chasse est un texte surprenant et assez troublant, rempli d`énergie brute. L’écriture de Parent carbure autant à la sensualité animale qu’au lyrisme sauvage. Cette pièce parle d’amour et de nature, de souffrance et de beauté, d’instincts de vie et de mort. Dans la forêt, la belle Béatrice, séquestrée par son époux Joe, s’est enfuie. Les hommes partent à sa recherche pendant que d’autres chasseurs callent leurs faux cris d’amour pour piéger l’orignal en rut. «Bientôt, tout se confond, prévient le communiqué de la pièce: les humains et les bêtes, les chasseurs et les proies, l’amour et la mort.»

On pourrait voir Nuit de chasse comme une pièce violente, dans laquelle «l’homme est un loup pour l’homme». Mais l’auteure s’en défend bien: «Je ne perçois pas les excès de la pièce comme de la violence. Et je tempère cette violence par le lyrisme, les envolées poétiques. Je parle d’une passion dans un contexte de chasse, des orignaux en rut, des amants éperdus… Quand l’homme est poussé à bout, je pense que ses instincts de base refont surface. On devient des animaux.»

Nuit de chasse peut compter sur une distribution de haut calibre: Sylvie Drapeau, dans le rôle troublant de Béatrice, l’épouse en fuite. A ses côtés, Guy Provost – qui, de mémoire, n’avait jamais joué au Théâtre d’Aujourd’hui -, Robert Lalonde, Julien Poulin, Chantal Baril, Stéphane Simard et Jean Turcotte. La scénographie est de Jean Bard. Les éclairages, de Michel Beaulieu. Et la musique, de Michel Smith.

Une solide équipe pour un important accouchement scénique, donc. A voir sa joie et sa fébrilité, le jour le plus important de la vie de Micheline Parent. «Quand j’ai quitté Carbone 14, j’ai vécu ça comme une peine d’amour, une défaite. J’ai habité six ans à Paris, une ville extraordinaire, et cela m’a comblée. Mais, au fond de moi, je ne voulais pas renoncer au théâtre, à la création.

«Je reviens chez moi avec un nouveau rôle: auteure! Je trouve que j’ai une chance fabuleuse. En me rendant à la première de Nuit de chasse, je vais redécouvrir quelque chose que j’ai imaginé seule. Comme si je regardais un film à partir d’une histoire que j’ai lue et figurée dans ma tête. D’ici vendredi, je vais vivre chaque seconde.»

Du 6 novembre au 5 décembre
Au Théâtre d’Aujourd’hui