Comédies françaises :
Jusqu’au 28 novembre
Au Théâtre de la Bordée
La barre était haute. Présenter deux courtes pièces d’un auteur comme Eugène Labiche, dans une forme qu’on ne voit plus au théâtre, chansonnettes et petits pas de danse inclus, relevait d’une douce folie. Lorraine Côté et sa bande de joyeux comédiens le savaient: il faudrait un travail de moine en précision et en justesse pour que la magie opère. Eh bien, pari gagné! Les Comédies françaises du Théâtre de la Bordée nous entraînent dans un univers satirique empreint d’extravagance et d’imagination. On en ressort ragaillardi, le cour et le pied légers.
Labiche fut un des auteurs les plus prolifiques du XIXe siècle. Il a écrit près de deux cents pièces, ce qui fit de lui le maître incontesté du vaudeville. Dans sa mire, la bourgeoisie et tous ses petits travers mesquins. La mécanique de ses ouvres apparaît simple: une intrigue simpliste, prétexte à quiproquos et coups de théâtre. La Fille bien gardée et Les Suites d’un premier lit s’inscrivent tout à fait dans cette optique. Dans la première pièce, deux domestiques matois meurent d’envie d’aller au bal. Le hic, c’est qu’ils doivent veiller sur l’enfant gâté de madame la baronne de Flasquemont. Qu’à cela ne tienne, on emmènera la petite! Mais la finaude se pousse avec un carabinier et, bien entendu, la baronne revient trop tôt. Panique dans la chaumière… Après l’entracte, rendez-vous avec Monsieur Trébuchard, fringant dandy de 29 ans aux prises avec un sérieux pépin: comment se débarrasser de sa fille de 48 ans, héritage d’un premier mariage et obstacle majeur à ses envies nuptiales. Là aussi, situations cocasses et personnages retors sont de la partie.
Voilà pour la trame narrative. Ce n’est évidemment pas là que se situe l’intérêt du spectacle. Ce qui charme, c’est la structure d’ensemble, précise au quart de tour et étonnamment efficace. Chapeau à Lorraine Côté pour sa minutie quasi-maniaque du geste et du ton. Elle se devait de bâtir un tout où rien n’est laissé au hasard, où chaque mouvement et chaque réplique tombent pile. Sinon, le fragile château de cartes se serait effondré. Il faut dire qu’elle est ici appuyée par des comédiens qui ont adhéré sans réserves à la proposition. Il convient de souligner leurs performances endiablées, mélange réussi du jeu et de la petite chanson de circonstance. Jean-Jacqui Boutet confirme de façon éclatante qu’il est un des comédiens les plus doués pour le comique; Denise Dubois, que l’on ne voit pas assez souvent, est aussi crédible en baronne qu’en «adolescente» romanesque de 48 ans; Marie-France Duquette illumine la scène; Véronica Makdissi-Warren possède une énergie qui fait d’elle une comique naturelle; Jean-Sébastien Ouellette campe un Trébuchard pédant à souhait et Francis Martineau, mignon carabinier et hilarant capitaine, est tout à fait dans le ton. Ajoutez à cela un accompagnement primesautier de Claude Soucy au piano, une scénographie lumineuse de Monique Dion, de magnifiques costumes de Marie-Chantale Vaillancourt et le résultat est parfait dans son genre. Sans prétention, mais joyeux au possible.