Nuit de chasse : Dense est la nuit
Certaines pièces nous indisposent physiquement. Ce qu’on voit, à quelques pieds de nous, sur la scène, nous rentre dedans. On ressent un malaise au creux du ventre, qui ne se dissipera qu’à la chute du rideau. C’est le cas de Nuit de chasse. Cette première pièce de Micheline Parent, mise en scène par René Richard Cyr, et à l’affiche du Théâtre d’Aujourd’hui, ne plaira pas aux âmes trop sensibles.
Généralement, cette réaction de choc face à un spectacle va de pair avec une réflexion. Or, malheureusement, ce n’est pas le cas ici. Aussitôt la représentation terminée, aussi insoutenable fût-elle, on est heureux de sortir du théâtre pour penser à autre chose…
Viol, meurtre sauvage, dépeçage d’une femme, folie et autres légèretés du genre… la pièce de Parent ne ménage donc aucune sensibilité. Toutefois, l’auteure se perd dans les troublants méandres de son histoire. Plus noir que la nuit, plus tordu que la folie, et plus violent que la chasse, ce récit veut en finir avec la soif de possession, qui – depuis toujours – tue la beauté de monde.
Bien sûr, les pulsions sont des abîmes sans fond. Mais la capacité des spectateurs est moins profonde. Au lieu de lui porter conseil, cette nuit de chasse déroute le spectateur. Il y a dans ce texte de Parent trop de ruptures de ton, trop de juxtapositions de scènes. Le passage du réalisme au poétique, d’une scène à l’autre, est problématique. Des propos terre-à-terre du duo de chasseurs (Guy Provost et Stéphane Simard) aux hallucinations de Béatrice (électrisante Sylvie Drapeau, en transe, qui rampe sur la scène), en passant par les blues de la serveuse automate (Chantal Baril, très touchante), pour finir avec la bêtise machiste de Roger (Julien Poulin, caricatural et très mal dirigé, qui raconte le texte au lieu de jouer la situation), il y a là beaucoup trop d’univers dramatiques pour une seule pièce.
Outre les bonnes performances de Baril et de Robert Lalonde, il faut aussi parler de Sylvie Drapeau. Sa prestation, terriblement exigeante, n’est pas sans rappeler son exploit dans le rôle de Manon, lors de La Trilogie des Brassard, en septembre 1991, au même endroit. Durant 90 minutes, l’actrice soutient un niveau de jeu fébrile et incroyablement élevé. Malgré quelques tics de composition, son travail est remarquable.
Finalement, cette pièce, trop dense, demeure une première ouvre, avec ses défauts et ses qualités. La mise en scène de Cyr, parfois maladroite, n’aide pas à faire cohabiter sa poésie et son réalisme. (Cyr a sûrement été ébloui par l’ambiance lyrique et mythique de ce «texte», mais pourquoi a-t-il opté pour une scénographie si naturaliste?) Certes, en se rendant au Théâtre d’Aujourd’hui, on découvre une langue et un regard troublants. Mais le dépaysement annoncé n’est qu’à moitié servi.y
Jusqu’au 5 décembre
Au Théâtre d’Aujourd’hui