Rites de passage
Scène

Rites de passage

On tend à l’oublier: le théâtre francophone n’a pas qu’un seul visage au Canada. Implanté à Sudbury, doté d’un tout nouveau lieu d’accueil, le Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO) est la «seule compagnie professionnelle» du Nord de cette province. Dirigé pendant huit ans par Brigitte Haentjens et Jean-Marc Dalpé – qui y ont créé Le Chien, entre autres -, le TNO a développé un public averti, ouvert à la création. A des productions comme Le Moine, qui fait escale à l’Espace La Veillée pour dix jours seulement.

Franco-ontarien de naissance, formé au Québec, cofondateur de la compagnie hulloise Triangle vital, André Perrier est le directeur artistique du TNO depuis janvier. L’isolation en marge des grands centres de création? Connaît pas encore. «C’est étrange: d’une part, je me sentais plus isolé à Hull. C’était beaucoup plus ardu de faire partie de la gang québécoise, à partir de Hull. Alors qu’ici, il y a vraiment une collaboration avec les théâtres ontariens et de partout au Canada. Mais, d’autre part, les conditions sont plus difficiles en Ontario puisque le gouvernement conservateur de Mike Harris ne favorise pas tellement les arts. C’est un combat constant.»

D’ouvrer en situation minoritaire investit le théâtre d’un rôle majeur, constate André Perrier. Pour les francophones de Sudbury – en théorie, environ la moitié de la population; mais, dans les faits, plutôt un tiers -, leur théâtre est un lieu de rassemblement. «Le TNO a été archi-important pour la communauté francophone durant les 27 années de son existence. On le sent encore. Il y a une appartenance, les gens s’impliquent, ce qu’on ne sent pas autant à Hull ou à Montréal, où l’on est un peu perdu dans la masse. On ferme le théâtre à deux heures du matin, après les représentations, le public reste pour rencontrer les acteurs. C’est vraiment le fun. Ici, on a l’impression qu’on fait du théâtre pour une raison, on sent l’importance de ce qu’on fait. C’est rafraîchissant.»

Le Moine, dont Perrier signe l’adaptation et la mise en scène, s’inspire d’un roman écrit à l’âge de vingt ans par le poète anglais Matthew Gregory Lewis (1775-1818), ouvre au parfum de scandale traduite en 1934 par Antonin Artaud, et qui assura son succès chez les surréalistes. «L’histoire m’intéressait énormément, parce que c’est un peu construit comme un Shakespeare, avec une trame principale, et deux autres tressées autour. Et il y avait tout le côté de l’occulte, l’espèce de combat entre l’Église établie et le surnaturel.»

On y voit l’orgueilleux Ambrosio (Robin Denault), un moine accusé de sorcellerie, être tourmenté, sur le bûcher même, par six bouffons, «ses consciences non avouées», qui lui font revivre ses crimes. Inspirés par les peintures de Jérôme Bosch, les bouffons permettent d’alléger, par la parodie, cette «pièce très dense, très chaude, véritable descente aux enfers», tout en portant une critique sociale. Le Moine écorche par la bande les abus passés de l’Église catholique, l’Inquisition.

«Mais c’est surtout sur l’intolérance en général. Aujourd’hui, le démon n’est plus vraiment ce qu’il était. C’est la politique qu’on a démonisée. Pour Saddam Hussein, le démon, c’est les États-Unis, et vice versa. Ainsi, c’est facile de se lancer des bombes, parce qu’on ne confronte pas des gens, on confronte le Mal.»

Et l’intolérance, c’est peut-être le grand thème d’André Perrier, qui a notamment écrit une pièce sur la montée du néonazisme (Signal d’alarme). «C’est surtout l’intolérance qui me pousse à écrire et à vouloir créer. Moi, je crois au théâtre qui porte une critique sociale, qui a quelque chose à dire.» La discrimination, l’artiste en a fait l’expérience directe, lui qui a été tabassé par des policiers hullois en sortant d’un bar gai… Ça marque un homme!

Si l’Église n’a plus sa puissance d’antan, surtout au Québec, André Perrier s’effraie cependant de l’influence croissante des preachers américains, de la droite religieuse, au Canada anglais. «Depuis une dizaine d’années, il y a un retour aux anciennes valeurs qui ferment la porte à toutes les autres. Je pense qu’on n’est vraiment pas à l’abri de ça. Et cette espèce d’intolérance cachée derrière des règles, des vertus, je trouve ça très épeurant. C’est ce qu’on trouve beaucoup dans Le Moine: l’intolérance sous le blason de ce qui est bien. C’est facile de s’abriter derrière la religion.»

A l’Espace La Veillée
Du 25 novembre au 5 décembre