Élégies… : Anges gardiens
Fatigués d’attendre des rôles au théâtre, les comédiens JASMIN ROY et ISABELLE CYR ont décidé de se lancer dans la production. Par la grande porte: une comédie musicale avec trente-six interprètes de tous les horizons. Et pour une bonne cause.
Il est six heures dans le local de répétition, avenue Mont-Royal. Isabelle Cyr et Jasmin Roy regardent pour la première fois Martine St-Clair et Michelle Sweeney chanter leur numéro. Soudain, les deux interprètes se détachent de leur rôle, pour entamer en duo une toune soul. Les autres chanteurs les rejoignent et tout le monde se met à jammer! Isabelle Cyr n’en croit pas ses yeux. L’émotion la gagne, elle se met à pleurer. «Si on m’avait dit qu’un jour je réunirais Lorraine Pintal, Françoise Faucher, Viola Léger, Yves Desganés et Martine St-Clair dans un même show, je ne l’aurais pas cru!»
Le 30 novembre, ces derniers seront sur la scène du Spectrum avec une trentaine d’acteurs et de chanteurs dans un spectacle-bénéfice pour la Fondation Farha. Les deux ex-comédiens de Chambres en ville réalisent la semaine prochaine un rêve vieux de cinq ans. Sous le chapeau du Théâtre Cyroy, ils produisent leur premier show: Élégies pour les anges, les anarchistes et les folles enragées. Un musical signé et mis en scène par le New-Yorkais Bill Russel, déjà présenté à Broadway et à Londres, dont c’est la première canadienne.
«Il faut être un peu mère Teresa pour fonder une compagnie de théâtre au Québec, dit Jasmin Roy. On n’a pas reçu un sou du Conseil des Arts ni du CALQ. Les subventionnaires justifient leur décision en disant que c’est un événement social, plus qu’artistique. Finalement, une aide tardive – merci aux élections – du ministère de la Santé et des Services sociaux, et un montant discrétionnaire de la ministre de la Culture, Louise Beaudoin, sont arrivés. Pour le reste, c’est le bénévolat des artistes et les commanditaires.
«Toutefois, poursuit Roy, un show peut avoir un sujet social et une démarche artistique. Toutes proportions gardées: si on pense au théâtre de Brecht, le contenu est très social et politique. Or, est-ce qu’on remet en cause la valeur artistique de Brecht?»
«Il y a eu des hauts et des bas, affirme Isabelle Cyr. Dans les moments les plus difficiles, quand j’avais des doutes, et que je me demandais si on y arriverait, je relisais le texte. Puis je me disais merde: on le monte quoi qu’il advienne.»
A Londres, un critique a pris à partie Bill Russel: «Pourquoi une pièce sur le sida? Pourquoi pas une pièce sur le cancer du poumon…» Tout simplememt parce que le sida a fauché plus de la moitié de mes proches, a répondu le metteur en scène. La maladie était au cour de ma vie. Mais la pièce n’est pas démodée à cause de la trithérapie. Même si, un jour, on trouve un vaccin Élégies… va rester d’actualité; c’est un show sur la perte, une élégie, c’est un poème pour un deuil. Et au théâtre, depuis les Grecs, la mort est un sujet universel.»
«Mais c’est d’abord un show sur la vie», insiste Isabelle Cyr.
En s’inspirant du projet de la Courtepointe de l’espoir, en mémoire aux victimes du sida, Élégies… joue sur les contrastes entre les personnages. C’est un patchwork de 36 personnages, un microcosme de la diaspora urbaine, avec des marginaux, des gars de cuir, des travelos, des prostituées – mais aussi des mères de famille et des citadins ordinaires dont le quotidien est bouleversé par le sida.
C’est Bill Russel qui dirige lui-même les interprètes dans un temps record: deux semaines. Heureusement, la pièce est construite en plusieurs tableaux, de sorte que les artistes peuvent travailler leurs numéros individuellement, ce qui exige moins de temps de répétition.
«Notre devise, c’est préjugés zéro, dit Isabelle Cyr. Pour le casting, on a choisi des gens de tous les milieux et de tous les horizons, et on a fait confiance à leur professionnalisme. On voulait prouver que, par-delà les cliques, le théâtre est une grande famille. Jasmin et moi, on a une étiquette de collée sur le front à cause de la télé et Chambres en ville. Les directeurs artistiques nous boudent. C’est ironique: pour jouer au théâtre dans ma langue, je dois aller à New York!» (Isabelle Cyr a joué dans La Cantatrice chauve, de Ionesco, en français, pour le Ubu Repertory Theatre. Spectacle qu’elle reprendra cet hiver dans la métropole américaine.)
«Le 30 novembre, on va prouver que l’on sait faire autre chose que Chambres en ville», concluent Cyr et Roy, soudainement en confiance.
Le 29 novembre (en anglais)
Le 30 novembre (en français)
Au Spectrum