Jeux de fous : Frappés par la fougue
Après vingt années de création chorégraphique, PAUL-ANDRÉ FORTIER se renouvelle encore. Dans Jeux de fous, il laisse la scène à la jeunesse.
De la première génération de la danse contemporaine québécoise – Nouvelle Aire, ça vous dit quelque chose? -, Paul-André Fortier a toujours évolué dans son travail avec un appétit marqué pour la découverte et le risque. En contact régulier avec les jeunes puisqu’il enseigne la danse à l’UQAM, il n’avait pourtant jamais composé pour eux. «On est attiré par ce qui est à l’opposé, mais par peur ou par manque de temps, on ne va pas voir», explique-t-il. La commande de l’Agora de la danse, qui vise un jeune public, lui a donc fourni l’occasion de se jeter dans l’inconnu.
Auparavant, Fortier avait, en effet, travaillé avec des danseurs particulièrement expérimentés. Entre sa création précédente, La Part des anges, et Jeux de fous, il y a donc tout un monde. «Les danseurs plus matures sont mesurés. Ils font confiance au corps, à l’intuition, à leur expérience. C’est un processus plus calme. Les jeunes ont des millions de questions. Il y a beaucoup d’effervescence. On sent qu’ils ont le désir de faire partie de la grande famille, de faire le métier. Leur passion est sans retenue. Ils sont turbulents. C’est une autre énergie.»
Pour Jeux de fous, Paul-André Fortier a recruté trois anciens du bac en danse de l’UQAM, Emmanuel Jouthe, Eve Lalonde et Ivana Milisevic. Il s’est inspiré d’eux, de leur énergie propre. La pièce reflète l’univers des jeunes, leur façon d’être entre eux et en société. «Les rapports entre les jeunes ne sont pas raffinés, ce qui donne parfois des situations à la limite de la violence, ou qui peuvent en donner l’impression. Ils ne sont pas en contrôle de leurs émotions. Ils n’ont pas le bagage de l’expérience pour porter un jugement sur les gestes qu’ils posent. Les rencontres sont souvent fugitives. On n’aboutit pas, parce qu’on ne veut pas se laisser aller à la tendresse.»
Entre un gars et deux filles, l’équilibre est instable. Les danseurs se retrouvent par deux ou par trois. A l’occasion, on se pose mutuellement des défis. Par jeu. C’est à qui exécutera une série de mouvements le plus rapidement, par exemple. Le chorégraphe nous promet une pièce très dynamique, qui se déroule à une vitesse qu’il ne pourrait d’ailleurs pas soutenir lui-même. «C’est une pièce qui carbure à la jeunesse», affirme-t-il. Après avoir vu le résultat, le compositeur Gaétan Lebouf a choisi la guitare électrique pour une trame musicale très rythmée. Ceux qui ont vu La Tentation de la transparence, il y a deux ans à la Rotonde, reconnaîtront difficilement la signature Fortier, mais elle s’y trouve, selon lui.
Se jetant dans l’eau froide, le chorégraphe a choisi de faire la première devant des étudiants du secondaire. «Les jeunes en général ne retiennent pas leur jugement, sait-il d’expérience. Ils ne le nuancent pas. C’est trop long? C’est trop long. C’est plate? C’est plate…» Un public cruellement franc, mais qui comprend mieux que bien des adultes finalement. Il se laisse plus volontiers emporter par l’action. «Moi, je suis l’occasion pour le spectateur de mettre son imaginaire en branle», considère l’artiste.
S’il manque encore de distance par rapport à sa dernière pièce, Paul-André Fortier a l’impression que l’expérience marquera un tournant dans son travail: «C’est en rupture avec ce qui a précédé. Ce n’est pas déplaisant comme sensation de voir de nouvelles perspectives s’ouvrir», dit-il amusé. Il a deux solos en projet, dont un pour lui-même. Il sait déjà qu’il ne créera plus de la même façon, même pour des danseurs d’expérience.
Du 3 au 5 décembre
A la Salle Multi