Les Émargés : Les vrais perdants
Scène

Les Émargés : Les vrais perdants

Que fait-on quand on sort d’une école de théâtre, diplôme en poche, plein d’enthousiasme et décidé à ne pas attendre l’appel d’un metteur en scène connu pour monter sur les planches?

1. On fonde sa propre compagnie avec quelques copains;

2. On écrit une pièce en toute collégialité;

3. On décroche – ô miracle ! – une petite subvention du Conseil des Arts et des Lettres;

4. Et on monte son «chef-d’ouvre» dans une usine désaffectée qui n’a rien du faste de l’Usine C…

C’est grâce à ce mode d’emploi infaillible, pour ceux qui ont la foi, que les impétueux Charles Boivin, Clermont-Louis Turmel et Jérémie Verrette, cofondateurs du Théâtre Tohu Bohu, ont pu donner naissance à leur première création, Les Émargés, dans l’antre du Complexe Vital de la rue Papineau.

Défendue par une bande de comédiens et de concepteurs de la relève, cette fable des temps modernes, surréaliste et éclatée, brosse le portrait d’une faune de jeunes marginaux en quête d’absolu. Malgré la fougue d’une distribution qui s’identifie pleinement à la cause de ces «émargés» de la société, la pièce des auteurs Boivin et Verrette nous perd rapidement. Un propos mal ciblé, une histoire qui s’éparpille et des ruptures de ton trop nombreuses viennent torpiller l’intérêt du spectateur avant même que la moitié du spectacle ne soit écoulée.

Reprenant vaguement, en sous-texte, le thème bien connu d’une génération X sacrifiée par l’égocentrisme des baby-boomers, cette logorrhée verbale et gestuelle nous déroute d’abord par son discours volontairement déconstruit. Tout en digressions, les monologues et les dialogues de sourds des protagonistes sont des enfilades survoltées de gags provocateurs, de flashs scabreux et de coups de gueule revanchards qui n’approfondissent jamais une réflexion digne de ce nom.

Les interprètes, quant à eux, semblent particulièrement à l’étroit dans leurs personnages archétypés d’homosexuel nombriliste (Mark-Antoine Tremblay), de poétesse terroriste (Isabelle Roy), de plongeuse olympique déchue (Natacha Thompson) et de conteur illuminé (Charles Boivin). Écartelés entre le clownesque et le réalisme psychologique, ils réussissent rarement à nous transmettre une émotion crédible ou à nous soutirer un léger sourire grâce à une réplique plus efficace que les autres.

Dans un décor évoquant un cimetière, avec un sol terreux d’où émergent des tombes, la mise en scène de Jérémie Verrette s’applique essentiellement à enchaîner les saynètes à un rythme effréné. Campant lui-même un personnage de narrateur fantomatique, Verrette ne réussit pas vraiment à mettre un semblant d’ordre dans ce fatras théâtral.

Ainsi conçu et monté, ce premier spectacle du Théâtre Tohu Bohu prend des allures de «trip» de création qui aura surtout permis à une bande d’artistes de la relève d’explorer tous azimuts leurs fantasmes les plus divers. Ironiquement, au terme de cette histoire d’exclus, ce sont les spectacteurs eux-mêmes qui se sentent «émargés» de la foire à laquelle ils ont assisté…

Jusqu’au 28 novembre
Au Complexe Vital