Jean-Frédéric Messier : Un ami d'enfance
Scène

Jean-Frédéric Messier : Un ami d’enfance

Depuis dix ans, JEAN-FRÉDÉRIC MESSIER crée des spectacles à l’avant-garde, des shows où s’entrechoquent les mots et les décibels, la lumière et les corps. Or voilà qu’il signe et dirige un show pour les enfants… En toute liberté.

Au sein de sa compagnie, Momentum, Jean-Frédéric Messier rue dans les brancards du conformisme depuis dix ans avec un théâtre qui flirte avec le risque, intègre multimédia et travail spatial, aborde des sujets percutants: l’invasion de la machine dans la vie de l’homme et le sadomasochisme dans Ostrus – un opéra technologique qui puisait à l’univers érotique d’Henry Miller; les écueils de la révolution culturelle ou l’envers de l’euphorique et mythique sex, drugs & rock’n’roll dans Helter Skelter. Il a signé des mises en scène toniques (Si j’avais la seule possession dessus le jugement dernier, d’Érik Charpentier) et prêté sa plume punk à des événements théâtraux comme les Contes urbains ou Cabaret Neiges noires.

Trouvez l’erreur: sa dernière création est applaudie en ce moment à la Maison Théâtre par des mioches de six à dix ans, et porte le mignon titre d’Un éléphant dans le cour! Guère impressionné par le contraste, Jean-Frédéric Messier est visiblement heureux de ce premier spectacle pour enfants dont il signe texte, mise en scène et musique.

D’ailleurs, on ignore peut-être qu’il a déjà apposé sa griffe de metteur en scène à deux productions jeune public, dont Conte de Jeanne-Marc, chevalière de la tour, de Louise Bombardier, pour le Théâtre des Confettis comme cette fois-ci. Pour les enfants, son approche est différente, mais de façon inconsciente. Il affirme n’avoir jamais fonctionné avec un public cible en tête, que ce soit à Momentum ou ailleurs: «Je parle de choses qui me préoccupent quand je fais une création avec ma compagnie, et je travaille avec des gens de mon âge. On a pu identifier ça à un discours de génération, mais ce n’était pas une volonté au départ. La teneur des propos était peut-être plus proche d’une certaine jeunesse, qui s’en va…» avance un peu précocement celui qui a soufflé sa première bougie l’année de l’Expo.

Plutôt qu’une contrainte, la création pour les enfants s’est avérée libératrice: «Les enfants n’ont aucune idée de qui je suis, et ça fait mon affaire. Ils regardent le show pour le show; pas pour savoir si je suis encore in, si je me répète, si je suis le nouveau ceci ou cela…» ironise-t-il.

Il n’est pas du genre didactique, Jean-Frédéric Messier, alors on ne lui fera pas dire qu’il avait un message précis à transmettre aux enfants avec cette pièce: «J’ai sûrement plein de choses à dire aux enfants et aux êtres humains en général.» Pour la morale de l’histoire, on repassera. Mais s’il assure n’avoir voulu traiter d’aucun thème en particulier en élaborant cette histoire d’Augustin Gagnant – célibataire endurci qui exerce un contrôle maniaque sur son quotidien pour ne pas laisser ses émotions affleurer, et qui voit son appartement envahi par un éléphant -, l’auteur concède tout de même que sa pièce parle du besoin des autres, se traduisant ici par l’amour pour la pétillante mademoiselle Lou qui gagne peu à peu Augustin.

«Il lutte contre ce paradoxe: son envie de tout régir par insécurité et son besoin des autres, qui suppose une ouverture, un abandon.» L’éléphant, «gigantesque, et rose, et féminin, et qui chante d’une voix cristalline, marque un envahissement absurde et un peu surréaliste», si l’on veut analyser les choses avec la lunette psychanalytique.

Dans une scéno et des costumes bédéesques créés par Marie-Claude Pelletier, l’imaginaire débridé de Jean-Frédéric Messier s’en est donné à cour joie. «Ça aussi, c’était libérateur. Les enfants ont moins de pudeur; si l’univers qu’on leur propose se tient, ils embarquent sans analyser le degré de transposition. En accord avec l’esthétique bédé, ma mise en scène est assez slapstick; c’est un genre de Feydeau sur l’acide! Je suis partisan de la bouffonnerie et du grotesque. L’art, pour moi, c’est une une solution de rechange à la réalité. Et l’imaginaire est un «organe» qu’il faut développer chez l’enfant, car c’est ce qui nous permet de prendre du recul sur le réel, de voir les choses selon une perspective différente.»

Très bien reçu à Québec le printemps dernier, ce spectacle a toutes les chances de jouir de la grande diffusion dont bénéficie le théâtre jeunes publics. Il a d’ailleurs déjà été présenté à un festival à Dublin! Les spectacles pour les grands peuvent rarement espérer autant, en particulier ceux des jeunes compagnies de recherche, comme Momentum, dont Jean-Frédéric Messier est le fondateur et directeur artistique. S’iI trouve aberrant de ne donner qu’une poignée de représentations, ce qui est totalement disproportionné avec le temps investi, Jean-Frédéric Messier ne veut pas se plaindre et souligne les aspects positifs de la création théâtrale: «J’ai commencé à faire du théâtre parce que je sentais que c’était un territoire où je pouvais toucher à beaucoup de choses (notamment à la musique, qui est pour moi une passion de plus en plus dévorante) – mais y toucher concrètement. Il y a ce côté immédiat au théâtre. Plein de cinéastes sont frustrés parce qu’ils doivent attendre tellement longtemps avant de faire quoi que ce soit. Au théâtre, on peut s’organiser, trouver des moyens plus facilement. C’est évident que la diffusion au Québec est une catastrophe. Bien sûr, si je passe deux, trois ans pour faire une ouvre, et pas un spectacle de variétés, c’est mon choix. Mais l’art, est-ce qu’on croit à cela comme société, et que fait-on pour le promouvoir? La question de la diffusion appelle une série de réflexions profondes, qui ne peuvent être traitées en quelques lignes dans un article. Je trouve qu’on sort souvent des déclarations lapidaires. Ce sont des problèmes sérieux, et je ne suis pas sûr que c’est en tirant dans le tas qu’on va changer quoi que ce soit.»

Et que pense-t-il, lui qui a eu droit à toutes sortes de réactions quand il a dit écrire un spectacle pour enfants, du préjugé voulant que la création jeune public soit moins «sérieuse»? «Je trouve ça triste. Au contraire, je crois que c’est un grand acte de noblesse et de générosité, car il n’y a pas d’ego là-dedans. Les enfants ne viendront pas me voir après pour me dire que j’ai changé leur vie. Ils vont plutôt aller voir l’éléphant pour lui dire ça!»

Voilà donc l’occasion rêvée, pour ceux qui snobent la scène enfantine, d’aller s’abreuver à l’imaginaire qui s’y déploie.

Du 2 au 20 décembre
A la Maison Théâtre