Le Moine : Crime et châtiment
La musique d’un Sanctus qui se dévergonde. Une nonne sanglante qui vient hanter un monastère capucin. Des diablotins qui tourmentent un moine libidineux et meurtrier. Un pacte conclu avec le diable à la lueur d’un bûcher…
De nos jours, de tels tableaux semblent presque anodins dans toute ouvre médiévalo-fantastique qui se respecte. Mais, en 1794, quand Le Moine du Britannique Matthew Gregory Lewis fut publié, c’est la censure qui frappa ce qui alllait devenir l’une des références du roman noir. Puis, au début du XXe siècle, Antonin Artaud se chargea de redonner à la prose de Lewis toute sa puissance occulte, dans une traduction bien personnelle qui fit fureur auprès des surréalistes.
A l’Espace La Veillée, c’est maintenant au tour d’André Perrier et de son Théâtre du Nouvel Ontario de s’inspirer des visions mystiques des sieurs Lewis et Artaud pour nous offrir une transposition théâtrale de ce Moine au passé tourmenté. Tout en donnant à l’ouvre un éclairage original, l’adaptation et la mise en scène de Perrier – conjuguées à un choix discutable du côté de la distribution – ne réussissent que rarement à créer une aura de mystère qui aurait pu envoûter le spectateur.
Dans cette saga qui se déroule dans l’Espagne du Haut Moyen-Age, le moine Ambrosio (Robin Denault) revoit sa vie défiler devant lui, quelques instants avant d’être brûlé pour sorcellerie. Pour évoquer sur scène les méfaits du religieux incestueux et matricide, six bouffons démoniaques – inventés par André Perrier – tourbillonnent autour du bûcher et confrontent le moine impénitent à ses crimes passés et à ses victimes.
Ce procédé ingénieux, qui permet de faire des ellipses dans le temps et de condenser un récit de 400 pages, représente un défi intéressant pour les six comédiens qui incarnent à la fois les diablotins et les proies innocentes d’Ambrosio. Les interprètes rendent crédibles leurs métamorphoses instantanées, même si le passage du joual appuyé des bouffons au français plus noble des victimes provoque des ruptures de ton trop marquées qui finissent par agacer.
Par ailleurs, si l’ensemble de la distribution se tire bien d’affaire, Robin Denault manque cruellement de présence dans le rôle pourtant crucial du moine criminel. Jamais on ne croit qu’un religieux aussi peu charismatique puisse bouleverser les corps et les âmes partout sur son passage. Le drame et le surnaturel s’en trouvent neutralisés dans la plupart des scènes où il se manifeste.
Côté scénographie, Richard Lacroix nous réserve une belle trouvaille: une croix suspendue dont les pans s’abaissent pour devenir les grilles d’un cloître ou d’un cachot. Cette évocation symbolique d’une Église de l’Inquisition répressive et aliénante est du plus bel effet.
En définitive, cette soirée passée dans l’univers sacrilège de l’infâme Ambrosio nous laisse partagés entre la déception et l’enchantement. Ainsi montée, cette transposition scénique du Moine prend des allures d’alchimie théâtrale dont la magie n’opère qu’à moitié.
Jusqu’au 5 décembre
A l’Espace La Veillée