Lynda Gaudreault : La vie devant soi
Lynda Gaudreault se définit comme une architecte du corps humain, une anatomiste du mouvement. La chorégraphe présente au CCA un spectacle qui veut communiquer les mystères de la vie.
Il n’est pas exagéré de dire que la danse de Lynda Gaudreault a davantage été vue en Europe qu’ici. C’est que, dès ses débuts, il y a six ans, la chorégraphe québécoise a été prise en main par des producteurs associés au réputé festival Le Klapstuk, en Belgique. Une occasion unique qui lui a permis d’être invitée par un bon nombre des festivals européens et, par la Bastsheva Dance Company, pour qui elle a récemment signé une oeuvre. Sans le coup de main de ses anges gardiens, elle en serait sans doute encore à ses premiers balbutiements.
Ces réussites outre-Atlantique ne l’empêchent cependant pas de vouloir revenir au bercail de façon définitive (tout en gardant un pied dans le Vieux Continent). En attendant de réaliser son désir, entre deux allers et retours en avion, elle présente Still Life No 1, au Centre canadien d’architecture.
Créé à Louvain, il y a deux ans, ce duo interprété par Mark Eden-Towle et Kathleen Dubé se révèle à la fois dépouillé et complexe: des corps presque nus accomplissent une danse axée sur la mécanique du mouvement avec, pour seul décor, une table en bois sur laquelle plombe une lumière toute simple. «J’avais envie que l’on distingue les veines, le grain de la peau», m’explique-t-elle, quelques heures à peine de son retour de Paris, dans sa grande salle à manger où trônent au beau milieu ses valises. Elle l’avouent: les costumes élaborés n’ont jamais été sa tasse de thé. Pourtant, elle dit adorer les chorégraphies exhibant une foule d’accessoires exubérants. «Il y a un radicalisme que j’aime bien.»
Pas banale, la brune artiste. Jusqu’à présent, ce sont surtout des salles d’anatomie (!) ou de musée qui ont abrité sa dernière oeuvre. «Quand le spectateur est dans une salle de spectacles, il s’attend à y voir de la danse ou du théâtre. Il y a là une sorte de conditionnement. Or, mon travail ne parle pas juste de danse, mais de la vie d’abord. C’est pour ça que mes créations se dansent n’importe où.» Le choix d’un lieu non conventionnel s’explique également par la volonté de démystifier son travail et de se rapprocher du public: «Un peu plus et je passe des biscuits aux spectateurs», dit-elle en riant. Pourquoi le CCA et pas un autre musée? «C’est le premier endroit qui m’est venu à l’esprit. Les murs de la salle sont tout en bois, de la même teinte douce que la table de la scène.»
Mais à bien y penser, son choix de diffusion n’est pas aussi surprenant qu’il y paraît: c’est écrit noir sur blanc dans son dossier de presse: Lynda Gaudreault se définit comme une architecte du corps humain, une anatomiste du mouvement. On n’a qu’à lire les titres de ses pièces pour s’en convaincre: Construction, Anatomie… Rien d’étonnat à ce que les Européens applaudissent le travail plus cérébral que physique de cette ancienne étudiante en philosophie. Or, la chorégraphe se défend bien de créer un langage pour une poignée d’initiés. «C’est abstrait, mais pas élitiste», jure-t-elle.
L’expérience et la maturité sans doute lui ont enseigné à s’ouvrir davantage au public. Pendant les représentations de son spectacle, assise dans la pénombre de la salle, Lynda Gaudreault reste à l’affût de la réaction des spectateurs, préoccupée par la lecture qu’ils font de sa danse. «Il n’y a pas si longtemps, j’étais du clan des artistes qui se disaient: "tant mieux s’il y a du monde qui aime ce que je fais". Aujourd’hui, c’est différent: j’essaie de voir le spectacle avec les yeux du public, de lui donner le maximum de chances pour qu’il sente mon travail au lieu de le comprendre.» Mais attention, elle ne crée pas en fonction des goûts d’une salle, mais pour répondre à ses propres questions. «Comment, avec un bras posé sur une table on peut communiquer la vie?», illustre-t-elle.
Comme toute chorégraphie qui se respecte, Still Life No 1 a beaucoup évolué depuis la première ébauche présentée dans une petite salle de l’immeuble de la rue Cherrier (où logent Tangente et L’Agora de la danse). Malgré ses changements, elle demeure toujours aussi épurée. «Pourtant, au moment de sa création, j’étais convaincue que ça allait être une pièce complexe», dit-elle en souriant.
Mais restons réalistes, la simplicité, aussi recherchée soit-elle, ne se marie pas toujours avec la transparence. «Il y a un mystère dans la danse que j’aime beaucoup, et qui ressemble au mystère de la vie: quelque chose d’inexplicable.»
Du 10 au 12 décembre
Au Centre canadien d’architecture