Scène

En dedans / Bagne : Danse sans frontières

Dernier sprint en danse avant la pause des Fêtes. Au programme: le dernier spectacle de GINETTE LAURIN; la version féminine de Bagne; et un conte multidisciplinaire chorégraphié par la danseuse JOHANNE MADORE.

Les chorégraphies de Ginette Laurin se laissent dévorer des yeux. En dedans, son dernier spectacle à l’affiche de l’Espace Go, ne déroge pas à cette règle. Son ouvre n’est pourtant pas que belle, c’est également une danse d’exploration qui comporte de bons et de moins bons côtés.

D’entrée de jeu, le spectateur est ébloui par la magnificence du premier tableau. Chez les danseuses, des tissus vaporeux aux teintes sobres dissimulent des sous-vêtements contrastés. Les gars, de leur côté, sont vêtus d’une camisole et d’un caleçon. Tout ce monde exécute des mouvements en duo, en chuchotant syllabes et chiffres. Une musique céleste les accompagne. Il se dégage de cette scène une sensualité et une beauté à couper le souffle. Cette partie qui dure une dizaine de minutes reste la plus émouvante du spectacle, car tout converge dans une même direction.

Sur le coup, je me suis demandé pourquoi j’avais gardé un souvenir tiède de cette chorégraphie vue au Festival Danse Canada, en juin dernier. Aux tableaux suivants, tout m’est revenu en mémoire. D’abord, les ruptures de ton qui déstabilisent le spectateur. Des rythmes tribaux succèdent à la musique céleste. Pas de doute, ces rythmes charment; le problème c’est qu’ils ne conviennent pas toujours à la gestuelle qui demeure souvent retenue et délicate.

Autre barrière à l’appréciation de ce spectacle: l’interprétation inégale de la troupe. A l’exception des performances de Chi Long et parfois de Sylvain Lafortune, celles de leurs collègues manquent de puissance et de précision, ce qui est surprenant quand on connaît les exigences de Ginette Laurin en la matière. Les mouvements sont riches, soit, mais le cour n’y est pas. Conséquence: le spectateur cherche à tâtons les intentions de la chorégraphe.

Cette désagréable impression de flottement va sans doute disparaître au fur à mesure des représentations. En attendant, En dedans mérite le détour ne serait-ce que pour les moments de bonheur grappillés de-ci, de-là. Car, lorsqu’ils se produisent, on s’émerveille du talent de Ginette Laurin, et on comprend pourquoi sa réputation a franchi nos frontières depuis longtemps.
Jusqu’au 12 décembre
A l’Espace Go

Bagne
Manifestement, Pierre-Paul Savoie et Jeff Hall sont fiers de Bagne, un duo conçu par eux en 1993. Ils l’ont dansé en reprise l’année dernière, à l’Agora de la danse et, ces jours-ci, ils en offrent la version féminine à la petite salle du Monument-National. Une version qui suscite énormément d’intérêt puisque leurs personnages sont incarnés par deux excellentes interprètes: Carole Courtois, qui fut longtemps chez O Vertigo, et Sarah Williams, très prisée par les chorégraphes. La grande question: comment ces danseuses reprendront-elles à leur compte la quête de tendresse qui se déroule à l’intérieur d’un univers carcéral pétri de solitude et d’oppression?

Surprise: leurs prestations ne jettent pas autant de poudre aux yeux qu’on l’espérait. De ce duo, c’est Carole Courtois qui s’en tire le mieux. Son jeu théâtral parvient à émouvoir par un simple regard ou l’esquisse d’un geste. Elle n’en fait ni trop ni pas assez. Sa partenaire de scène éprouve plus de mal à nous faire croire en la rudesse de son personnage. La difficulté provient sans doute du fait que la danse conçue à l’origine pour des hommes soit demeurée typiquement masculine. Un exemple: cette scène où les protagonistes se narguent en jouant des bras, un mécanisme de défense qui convient mal à des filles aussi délinquantes soient-elles.

Mais où le bât blesse réellement, c’est dans la sous-utilisation de leur talent. Il s’agit de danseuses extrêmement fortes sur le plan de la technique. Malheureusement, la pauvreté de la gestuelle de Savoie et Hall ne leur rend pas justice.

Cela dit, Bagne reste une pièce grand public qui charme en raison de son langage poétique et évocateur, plus humain qu’abstrait. Grâce en partie à la superbe musique cinématographique signée par Ginette Bertrand, le spectateur imagine sans mal ce qui se passe chez les détenues: leur irrésistible envie de liberté, leur besoin poignant de communiquer, la lourdeur de leur solitude, leur désespoir et, enfin, leur espoir. Même si c’est souligné avec candeur et naïveté, et parfois dans un vacarme assourdissant, Bagne réussit à nous toucher à un moment ou à un autre. Jusqu’au 12 décembre, au Monument-National

Antennaë
Johanne Madore entretient un rapport partagé entre la danse et le théâtre. Elle a dansé au sein des premières ouvres de Ginette Laurin avant d’être happée par le grand manitou du théâtre dansé du Québec et metteur en scène de Carbone 14, Gilles Maheu. Elle a participé à presque toutes les créations de cette compagnie, dont Le Rail, Le Dortoir, Le Café des aveugles et Les Ames mortes. Aujourd’hui elle vole de ses propres ailes vers des horizons qui mêlent facilement les genres. A preuve, Robert Lepage a fait appel à ses talents de chorégraphe et d’interprète pour l’opéra La Damnation de Faust.

Entre-temps, elle signe la mise en scène et la chorégraphie d’Antennaë, un «conte» urbain qu’elle danse avec Pierre-André Côté, autrefois d’O Vertigo. Des textes enregistrés, une musique jouée en direct, de la danse énergique à la façon de Carbone 14: voilà de quoi allumer la curiosité des amateurs de nouvelle danse, de musique et de théâtre expérimentaux.

Ont collaboré à cette ouvre inclassable, des artistes qui aiment se frotter eux aussi à d’autres genres: Carole Courtois aux costumes, Pierre Roman Przyslezniak à la scénarisation ainsi qu’à la scénographie, et Claude Fradette, musicien et compositeur qui a notamment conçu la musique du Café des aveugles. Si la performance vous intéresse…

Du 17 au 19 décembre, au Théâtre La Chapelle.