Michel Nadeau : Au fil du temps
Du Périscope à chez Duceppe, de Québec à Montréal, MICHEL NADEAU s’impose de plus en plus comme une voix importante dans le théâtre québécois, avec sa propension à toucher des thèmes forts. Avec Jeanne et les anges, l’auteur propose une pièce sur le passé sans nostalgie.
Peu connu à Montréal, Michel Nadeau porte plusieurs chapeaux dans la Vieille Capitale, là où se concentre son intense activité: directeur du Conservatoire d’art dramatique de Québec, directeur artistique du Théâtre Niveau Parking, une compagnie de création et de répertoire contemporain, depuis une décennie, auteur et metteur en scène. Son premier texte, BUREAUtopsie, a été présenté à l’Espace Go il y a quelques années.
Et son second, Jeanne et les Anges, créé en 94, s’apprête à être monté au Théâtre Jean-Duceppe, dès le 16 décembre. Dans une formule assez inusitée, rarissime de mémoire de journaliste et d’attaché de presse: la compagnie Jean Duceppe, qui produit, a embauché sensiblement la même équipe, mais en demandant à Michel Nadeau une nouvelle mise en scène. Cette production hybride reprend la distribution originelle (tous des comédiens de Québec, dont Josée Deschênes, Lorraine Côté et Tony Conte), avec un nouveau scénographe (Raymond-Marius Boucher), adaptant le décor et le jeu aux vastes dimensions de la scène.
Car sauter du Périscope au Théâtre Jean-Duceppe, ce n’est pas loin d’être un bond de géant… «C’est sûr que ça donne un peu le trac», convient Michel Nadeau, assis devant la maison à l’abandon de Jeanne et les Anges, un décor à la fois «très terrien et onirique». «Mais, en même temps, c’est assez rare qu’une de nos pièces ait l’occasion d’avoir cette diffusion-là. Les pièces québécoises sont souvent montées par de petits théâtres. Que tout à coup une pièce touche 20 000 personnes, c’est un privilège assez rare. On va essayer de bien en profiter…»
A l’instar d’un certain nombre de pièces québécoises (par exemple, C’était avant la guerre à l’Anse-à-Gilles, de Marie Laberge), Jeanne et les Anges est centrée sur un destin de femme, en butte à l’oppression sociale et religieuse du Québec des années 30. «Dans les années 70, on écrivait beaucoup sur cette époque-là, explique l’auteur. Mais pendant la décennie suivante, l’urbanité s’est beaucoup imposée dans notre dramaturgie. Et la campagne, le passé furent occultés. Je me suis demandé si, en 92-93, on pouvait encore parler de ça, ou si c’était absolument lié à la montée nationaliste des années 70, le folklore, les racines? Est-ce qu’on peut parler du passé de façon moderne? Et, personnellement, je n’avais pas loin de 40 ans, j’ai senti le besoin de me demander d’où je venais.»
A la base, Nadeau a emprunté l’idée de la pièce à Natalie D’Anjou – la comédienne incarnant Jeanne -, qui avait écrit, comme exercice au Conservatoire, l’histoire de deux sours, dont l’une ambitionne de quitter son étouffante campagne pour monter en ville et devenir photographe. L’équipe a improvisé à partir de ce canevas pendant quelques semaines, partageant des histoires de famille, des anecdotes, dégageant des personnages-types. Michel Nadeau a rassemblé tout ce matériel avec le souci d’en faire une ouvre qui n’aurait rien de nostalgique ou de passéiste. Tissée de petites scènes s’imbriquant les unes dans les autres, Jeanne et les Anges jette un regard parfois distancié sur le passé, remontant le fil du temps, de la rencontre des parents de Jeanne à l’émancipation de la jeune femme.
Pourtant, à la création (ensuite, le spectacle a «fait son chemin», remportant le Masque de la meilleure production en 95), le metteur en scène a senti des réticences chez ses pairs. «Je pense que c’est une période dont on n’aime pas vraiment parler. Parce que ça nous rappelle notre ignorance. Le Québec regarde beaucoup en avant – et c’est très bien. Mais on n’a pas une distance très grande par rapport à notre côté catholique, canadien-français.»
Pourquoi est-ce donc important d’en parler? «Parce que c’est nous autres. C’est une partie de nos origines. Quand même, le Québec contemporain, c’est très récent. On voit les traces de ce passé rural, ça colore notre façon de voir le monde, de faire notre société, aussi. Je pense qu’on a laïcisé beaucoup de choses, mais le comportement de fond reste passablement le même. On ne peut pas, en une génération, se recréer.»
Et cette photographie du passé touche encore, a-t-il constaté. Notamment les jeunes. «Même si le contexte est différent, c’est l’histoire d’une petite fille incomprise, qui sent confusément qu’elle est étrangère dans son milieu. Elle a une âme d’artiste et elle vit dans un rang à la campagne. Alors, les cégépiennes venues voir la pièce étaient très touchées par l’oppression que Jeanne subissait.»
Si son but n’était aucunement pédagogique, reste que Michel Nadeau estime que faire du théâtre, «c’est assurément un acte social, un acte politique dans le sens large du terme. Ça a des résonances. Sinon, le théâtre fait juste renvoyer à lui-même, devenant un objet culturel sans écho. Et ça, ça m’intéresse moins.»
Entre Jeanne et les Anges et son quatrième texte, Ecce Homo, une pièce sur la guerre créée au printemps dernier au Carrefour international de Québec, il y a peu de points communs. «J’ai la hantise de me répéter», avoue Michel Nadeau. En fait, on pourrait presque lui prêter, nuances en plus, le discours du photographe mentor qui apprend à Jeanne comment regarder le monde: «Reconnaître un artiste d’une ouvre à l’autre, ce n’est pas reconnaître son style, mais son manque d’imagination!» «Je sais bien, en même temps, que c’est un peu illusoire de dire qu’on ne se répétera jamais: on est ce qu’on est, pondère l’auteur. Mais c’est important pour moi d’explorer des champs différents.»
S’il y a une constante dans le travail de Michel Nadeau, c’est sa propension à toucher des thèmes forts. Sans qu’il puisse se l’expliquer, il ne donne pas dans le léger. Il rigole: «On me dit qu’on sort de mes pièces émotivement fatigué…»
Au Théâtre Jean-Duceppe
Du 16 au 19 décembre, et du 5 janvier au 6 février 1999